L’ex-Ministre de la Justice Moro est-il pire que le président brésilien Bolsonaro ?

 | Par Fernando Salvadori, Ponte Jornalismo

Fausto Salvadori, éditorialiste et reporter de Ponte Jornalismo, nous met en garde et nous appelle à un devoir de mémoire auquel l’Agence Ponte Journalisme aura grandement contribué. La violence d’État, l’autoritarisme comme mode de gouvernance et l’avènement des justiciers ont entériné « l’exception » comme procédure judiciaire la plus fréquente.

[version en portugais ci-dessous]

Ce dont nous nous souvenons des gens n’a pas toujours un rapport très direct avec ce qu’ils ont fait, et c’est pourquoi la postérité est pleine d’injustices. Peu de gens associent le président Prudente de Morais au mot génocide, alors qu’il est responsable du massacre de Canudos. Les anciens gouverneurs de São Paulo, Geraldo Alckmin et Claudio Lembo, semblent destinés à entrer dans l’histoire comme des types modérés ou effacés, d’autant plus si l’on compare leur truculence verbeuse à celle de João Doria, mais seulement parce que peu de gens semblent se souvenir qu’Alckmin et Lembo ont été responsables, en mai 2006 [1], d’une vague de massacres qui a réussi, en dix jours, à tuer plus que la dictature militaire en vingt ans [2].

Et ce serait une grande injustice si Sergio Moro, en quittant le président brésilien Jair Bolsonaro quand celui-ci commençait à avancer à grands pas décisifs vers l’abîme, devait être considéré comme quelqu’un ayant rejeté la barbarie de l’extrême droite au Brésil [3] . Moro a toujours fait partie intégrante de cette barbarie qui a pris le pouvoir en 2018 et qui maintenant éructe " et alors ? " [4] devant des piles de cercueils enterrés avec des pelleteuses dans des fosses communes. Il avait juste l’air un peu mieux que son chef. Et pour cette même raison, il pourrait devenir encore pire.

Moro n’a jamais utilisé la rhétorique de la barbarie bolsonariste [5] ; il n’a pas fait l’éloge des tortionnaires, il n’a pas non plus fait l’apologie des massacres, et cela peut contribuer à séduire ceux qui soutiennent la violence pratiquée avec plus d’hypocrisie et de raffinement, si la barbarie en sandales se démode. Pour faire une comparaison avec les méchants de la bande dessinée Spiderman, dont l’ancien ministre est un fan, Bolsonaro serait comme le Lézard, un monstre animal, dépourvu de raisonnement, incapable de parler, uniquement fait de fureur et de sauvagerie. Moro, en revanche, rappellerait un méchant comme l’homme d’affaires Norman Osborn, le Bouffon vert : quelqu’un qui, la plupart du temps, se vêt de costumes et de respectabilité, capable de concevoir des stratégies sophistiquées pour atteindre le pouvoir convoité, même si en chemin, il laisse un tas de cadavres bien plus important que la férocité décérébrée d’un Lézard ne pourrait en produire.

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Dans le domaine de la sécurité publique, au lieu de dire qu’un bon bandit est un bandit mort [6], le discours vacillant et édulcoré de Moro produisait des platitudes sur la lutte contre le crime et le respect de la loi, mais ses actions, alors qu’il était en responsabilité, en parlaient beaucoup plus durement. En tant que ministre, Moro a tenu à défendre, avec son programme anti-criminalité, des mesures qui augmenteraient l’incarcération dans un pays qui détient déjà la troisième plus grande population carcérale au monde, et démultiplieraient la capacité de la police à tuer en toute impunité, dans le pays qui dispose déjà de l’une des forces de police les plus violentes au monde, et ce en une "tentative explicite de légitimer la mort et la violence systématique contre les Noirs, les pauvres et les habitants de la périphérie", comme le définit Maria Clara D’ávila, membre d’ "Initiative Noire pour une nouvelle politique des drogues", dans un entretien avec Paloma Vasconcelos et Maria Teresa Cruz. [7] Moro n’a jamais défendu publiquement la torture, comme son chef, mais il a fait pire : il a garanti l’impunité des tortionnaires pris en flagrant délit dans le système pénitentiaire fédéral.

Observatoire de la démocratie Brésilienne
 
Le nouveau paquet anticriminalité du gouvernement 2019
 
L’Institut brésilien des sciences criminelles (IBCCRIM) fait partie de la campagne [contre le] "Paquet anticrime : une fausse solution". À partir de février 2019, il stimule les débats sur les propositions établies dans le projet de loi présenté par le ministre de la Justice et de la Sécurité publique, Sergio Moro. À l’inverse, le gouvernement brésilien a maintenu l’opacité sur le projet, empêchant la bonne compréhension des objectifs réels de la réforme. Le projet, approuvé en décembre 2019, consiste en fait en un ensemble de mesures de durcissement de la criminalité et d’intensification de la violence institutionnelle à l’encontre des groupes vulnérables, principalement noirs et pauvres. Les efforts collectifs de la campagne "Paquet anticriminalité : une fausse solution" ont cependant permis le retrait de certaines propositions introduites dans le projet initial. Toutefois, de nombreux amendements ont été retenus dans le texte final du "paquet anticrime" qui ne manqueront pas d’approfondir les marques de racisme structurel et de discrimination inhérentes au système de justice pénale brésilien. Ce sont, l’augmentation des délais pour la progression du régime des peines, la création d’une banque génétique et l’augmentation de la durée maximale d’exécution de la peine à 40 ans, ainsi que les limitations au départ temporaire et aux contacts des membres de la famille avec la personne emprisonnée.

Lorsque l’impact du coronavirus dans les prisons brésiliennes a commencé à se répandre, Moro, dans l’une de ses dernières actions au ministère de la Justice et de la Sécurité publique, a sous-estimé le risque de décès pour les prisonniers et a également suggéré de mettre les malades dans des conteneurs. Cela revient à dire "laissez-les mourir", comme l’a déclaré Samira Bueno du Forum brésilien de la sécurité publique dans la même interview.

Aujourd’hui, alors que le pays, avec sept décès de détenus dus au Covid-19, fait déjà partie des leaders de la mortalité en prison, nous pouvons dire que Sergio Moro a une part du sang de ces hommes morts sur les mains.

Pour autant, si le président brésilien Bolsonaro venait à tomber, et que le public craignait de soutenir des propositions similaires aux siennes à l’avenir, Moro pourrait devenir, en 2022, l’incarnation parfaite d’un Bolsonaro d’apparence plus légère, parfait pour ceux qui aiment les tueurs, mais préfèrent les meurtriers qui parlent bien et se lavent les mains.


Moro : pior que Bolsonaro ?

O que lembramos das pessoas nem sempre tem uma relação lá muita direta com o que elas fizeram, e por isso a posteridade está cheia de injustiças. Poucas pessoas associam o presidente Prudente de Morais com a palavra genocídio, embora tenha sido o responsável pelo massacre de Canudos. Os ex-governadores de São Paulo Geraldo Alckmin e Claudio Lembo parecem destinado a ficar na história como tipos moderados ou apagados, ainda mais quando comparados à truculência verborrágica de João Doria, mas só porque poucos parecem se lembrar de que Alckmin e Lembo foram responsáveis por uma onda de massacres, em maio de 2006, que conseguiu, em dez dias, matar mais do que a ditadura militar em vinte anos.

E será uma grande injustiça se Sergio Moro, ao abandonar Jair Bolsonaro quando o governo já começava a se encaminhar a passos largos e decididos para o abismo, passar a ser lembrado como alguém que rejeitou a barbárie da extrema-direita. Moro sempre foi parte integrante dessa barbárie que chegou ao poder em 2018 e que agora pergunta "e daí ?" diante das pilhas de caixões sepultados com retroescavadeira em valas comuns. Ele só parecia um pouco melhor do que seu chefe. E, justamente por isso, pode se tornar ainda pior.

Moro nunca utilizou a retórica da barbárie bolsonarista, não elogiou torturadores nem fez a apologia de massacres, e isso pode ajudar a seduzir os que apoiam uma violência praticada com mais hipocrisia e refinamento, se a barbárie de chinelão vier a sair de moda. Para fazer uma comparação com os vilões dos quadrinhos de Homem-Aranha, de quem o ex-ministro é fã, Bolsonaro seria como o Lagarto, um monstro animalesco e desprovido de raciocínio, incapaz de falar, feito apenas de fúria e selvageria. Já Moro lembraria um vilão como o empresário Norman Osborn, o Duende Verde, alguém que na maior parte do tempo veste terno e respeitabilidade, e que é capaz de traçar estratégias sofisticadas para atingir o poder que almeja, ainda que deixando, no caminho, uma pilha de cadáveres muito maior do que a ferocidade descerebrada de um Lagarto seria capaz de produzir.

Na área de segurança pública, em vez de dizer que bandido bom é bandido morto, a fala vacilante e descolorida de Moro costumava reproduzir platitudes sobre combate ao crime e respeito à lei, mas suas ações à frente falaram muito mais alto. Como ministro, Moro fez questão de defender, com seu pacote anticrime, medidas que ampliavam o encarceramento, no país que tem a terceira maior população carcerário do mundo, e que aumentavam a capacidade de matar impunemente da polícia, no país que já tem uma das polícias mais violentas do mundo, em uma "explícita tentativa de legitimar a morte e a violência sistemática contra pessoas negras, pobres e moradoras de regiões periféricas", como definiu Maria Clara D’ávila, integrante da Iniciativa Negra por Uma Nova Política sobre Drogas, em entrevista a Paloma Vasconcelos e Maria Teresa Cruz. Moro nunca defendeu publicamente a tortura, como seu chefe, mas fez pior : garantiu a impunidade dos torturadores flagrados atuando no sistema penitenciário federal.

Quando o coronavírus começou a se espalhar pelas prisões, Moro, em uma de suas últimas ações no Ministério da Justiça e Segurança Pública, menosprezou o risco de mortes para os prisioneiros e ainda sugeriu colocar os doentes em contêineres. Era o mesmo que dizer "deixa morrer", como nota Samira Bueno, do Fórum Brasileiro de Segurança Pública, na mesma entrevista. Hoje, quando o país, com sete mortes, já se encontra entre os líderes da mortandade de detentos pela Covid-19, podemos dizer que parte do sangue da morte desses homens está nas mãos de Sergio Moro.

Por tudo isso, se Bolsonaro vier a cair, e o público ficar com receio de apoiar propostas parecidas com a dele no futuro, Moro pode vir a se tornar, em 2022, a encarnação perfeita de um Bolsonaro de aparência light, perfeito para os que gostam, sim, de assassinos, mas preferem os homicidas que falam fino e lavam as mãos.

Fausto Salvadori, editor e repórter da Ponte Jornalismo

photo de couverture : Ministre Sérgio Moro © Marcos Corrêa/PR

[1Entre le 12 et le 20 mai 2006, plus de 500 personnes auraient été retrouvées exécutées dans l’État de São Paulo, selon les comptes faits par des entités et par le Conseil Régional de la Médecine en collaboration avec les sièges de l’Institut de Médecine Légale. Plus de 500 meurtres par balles tirées par les groupes d’extermination en réponse aux attaques du PCC (Premier Commando de la Capitale). Le mouvement des Mères du Mois de Mai y ont trouvé leur tragique début. Ce meutre de masse continue de prendre des vies dix ans plus tard, du fait des marques émotionnelles - et dans certains cas physiques, sous la forme de maladies par exemple -. Autres Brésils se solidarise de chaque mort d’une mère du mouvement. Vera Lúcia Gonzaga dos Santos, la figure emblématique du mouvement a été retrouvée morte le 3 mai 2018.

[2Une action civile publique, d’une valeur de 154 millions de réaux, demande au gouvernement d’indemniser les familles de 505 victimes civiles de l’État en mai 2006 et de 59 agents publics tués lors d’attaques du PCC dont le gouvernement savait qu’elles auraient lieu. Le procureur des droits de l’homme Eduardo Ferreira Valério, interviewé par Ponte Jornalismo, a participé de cette action alors qu’il avait signé le document en 2006 en faveur de la Police Militaire. Dans le document, en note de bas de page il adresse ses excuses mais c’est bien plus que ça. Il s’agit de la requête initiale du parquet des droits de l’homme du ministère public de l’État qui a lancé cette une action civile publique, adressée à la 16e Cour de circuit de l’État de São Paulo. Disponible ici : https://drive.google.com/file/d/1a_aTe-uKdZaRUHi64-RTo-gINcyVY-wF/view

[4phrase dites par Bolsonaro

[6Rappelons des paroles de Frei Betto disant que « La boîte de Pandore est ouverte. » interview pour Autres Brésils

"Il faut souligner que selon Bolsonaro et ses adeptes, la gauche serait violente par nature. C’est pour ça qu’il promet de "combattre les activistes", c’est-à-dire toute forme d’organisation populaire, allant des Organisations Non-Gouvernementales aux mouvements sociaux, qui n’accepteraient pas sa tutelle. La prison est, pour lui, une dépense publique inutile. Et c’est dans ce cadre qu’il dit qu’un bon bandit est un bandit mort, et qu’il nous faut entendre que tous les bandits devraient être assassinés. Pire, il a déclaré que tout policier qui tue un bandit devrait être décoré d’une médaille et non pas être l’objet d’une enquête de procédure."

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