La presse et Bolsonaro

 | Par Tiago Medeiros
Antonio Cruz/Agência Brasil - 07/08/2019

Au Brésil, la majorité des présidents ont compté sur la presse pour se faire élire. Le cas de Jair Bolsonaro est différent. Il représente un changement de rapports entre la politique et le secteur de communication brésilien [1]. Ce texte propose une réflexion sur ce phénomène et présente quelques aspects concernant l’actuelle relation entre le président et une partie de la presse.

Tout comme Donald Trump, Jair Bolsonaro a compté sur les réseaux sociaux pour augmenter sa popularité et garantir son succès électoral. En cohésion avec le courant d’opinion bolsonariste, la presse professionnelle est aussi devenue la proie principale [2].

Le bolsonarisme désigne la politique mené par Jair Bolsonaro et le soutien apporté par ses partisans, les « bolsonaristes ». Le bolsonarisme est un phénomène socioculturel brésilien complexe qui s’est amplement consolidé sur Internet.

Il est important de noter que la masse de Brésiliens qui s’identifie avec l’actuel président a été orpheline de représentation politique pendant longtemps. L’arrivée de Bolsonaro a donc constitué une grande découverte politique pour beaucoup de personnes que se sentent proches de ses propos, tels que les évangéliques, les « caipira », les professionnels de la sécurité publique ou privée et la petite classe moyenne entrepreneuriale, entre autres. Aujourd’hui, elle reproduit l’éducation politique et la vision du monde binaire qui place Jair Bolsonaro d’un côté et un opposant de l’autre [3].

Après avoir été élu, Bolsonaro a intensifié les attaques contre la presse professionnelle. En l’absence d’adversaires politiques, la presse est devenue son ennemi principal et favori [4]. Cela a provoqué une curieuse division au sein des médias et des journalistes qui sont devenus ouvertement plus engagés politiquement.

La dispute politique entre les entreprises de télécommunication n’est pas une invention de ce siècle au Brésil. Mais depuis le gouvernement Bolsonaro et la prééminence des réseaux sociaux en tant que théâtre des interactions, la presse professionnelle est beaucoup plus divisée. La guerre pour obtenir des followers reflète les sentiments de la société sur les réseaux Internet. Dans ce contexte, les médias et les journalistes assument le rôle de critique du gouvernement ou adhèrent aveuglement à n’importe quelle décision gouvernementale.

Certains médias (journaux, programmes de radio, chaînes de télévisions et de YouTube) sont bolsonaristes sans pour autant le déclarer. Ils présument montrer « l’autre côté » des informations, c’est-à-dire, les différentes nouvelles concernant Bolsonaro et minimisent ainsi, ses discours rejetés partout dans le monde. En faisant cela, ils reçoivent une attention différenciée et généreuse du président en échange de propagandes en sa faveur et contre la presse traditionelle.

Nous sommes face à un nouveau et dangereux partenariat entre la politique et la presse, dans lequel elles profitent l’une de l’autre. Il est important de comprendre comment cela se passe et de dénoncer son fonctionnement. La stratégie se compose de trois types de relations envers la presse : professionnelle, économique et politique.

La première repose sur l’organisation d’un schéma de propagation de fake news. Il existe un centre de fabrication de fake news que la presse appelle le « gabinete do ódio » (bureau de la haine) et qui serait dirigé par Carlos Bolsonaro, fils du président [5]. Des fausses informations y sont créées et envoyées en masse à travers les groupes WhatsApp. Leur diffusion est financée par quelques hommes d’affaires partisans du bolsonarisme. Cette propagation a une vaste portée et touche les brésiliens partout dans le monde. Les partisans du bolsonarisme ont ainsi le sentiment de pouvoir suivre de vraies informations en lien avec le président. De cette façon, un monde imaginaire est construit et alimente quotidiennement le bolsonarime.

Après la propagation des fakes news, les médias se les approprient sans questionner leurs origines et explorent leurs possibles utilisations. Les journalistes politiques priorisent ainsi les interprétations et non les faits. Chaque information provenant du « bureau de la haine » acquiert alors un statut de vérité. De cette façon, les médias ne se responsabilisent pas pour l’information étant donné qu’ils ne font que la commenter.

Cela conduit à la deuxième relation : l’économique. Elle consiste en des avantages qu’un petit ensemble de programmes et communicateurs ont acquis de par leur proximité avec le gouvernement. L’animosité connue de Bolsonaro contre les professionnels de presse est bien connue. Dès le début de son mandat, il autorise seulement les entretiens avec des journalistes qui ne lui font pas de critiques. Ces entretiens ont lieu chaque jeudi et les questions posées sont toujours favorables au gouvernement. Un programme est par ailleurs connu pour propager des fake news. Ce même programme détient un accès direct au président et donc un monopole explicite d’informations de première main [6].

Les personnes qui ne souhaitent pas accompagner les déclarations sur cette chaîne, ou bien qui ont été exclues par le président - comme c’est le cas de beaucoup de journalistes et de citoyens - n’ont pas d’autres choix que de regarder les chaînes non officielles du gouvernement. Il s’agit aujourd’hui de l’unique moyen d’accès au Président et seulement l’une d’elle peut l’interroger. Le nombre de visualisations de cette chaîne grandit de jour en jour car c’est l’unique façon de d’avoir accès aux interventions publiques en direct du Président.

Finalement, la troisième relation est la politique. Jair Bolsonaro n’a pas de parti politique. Pendant les élections, il s’est affilié au PSL (Parti Social-Liberal) mais quelques mois plus tard il l’a abandonné. Sans l’unique instrument formel de la politique au sein d’une démocratie, de l’unification du message bolsonariste, de l’organisation des lignes directrices du gouvernement, les stratégies d’attaques contre ses adversaires seraient impossible s’il ne comptait pas sur ce type de presse.

La collaboration entre la presse diffuseuse de fake news et Bolsonaro assure une militance cohésive. La presse bolsonariste est complaisante avec ses partisans et ce, même s’il cela concerne un intérêt ponctuel. En revanche, elle est agressive avec tous ses possibles adversaires. Elle prépare le terrain pour les interventions du Président. En bref, elle représente le parti politique qui n’est pas inscrit à la Justice Électorale.

Beaucoup de personnes à travers le monde ne comprennent pas comment après tant d’absurdités, tant d’erreurs de gestion publique, tant d’irresponsabilités, tant de morts liées au Covid-19, Jair Bolsonaro continue d’avoir le soutien d’un tiers du peuple brésilien. La collaboration que l’on pourrait qualifier d’anti-éthique exposée ci-dessus n’explique pas tout mais elle est très importante pour comprendre l’existence de l’imaginaire bolsonariste.

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