Je suis né en 1988, en même temps que la nouvelle Constitution, lorsque l’État brésilien nous a enfin reconnus comme citoyens. C’était un héritage de la génération précédente, mais nous sommes obligés de le défendre depuis le berceau.
Nous sommes maintenant confrontés à notre plus grand défi. Nous pouvons être décimés par la Covid-19 ; des peuples entiers sont en danger de disparition. Le traitement de la pandémie au Brésil a été particulièrement catastrophique pour nous. C’est pourquoi l’Articulation des peuples autochtones du Brésil (Apib) prend une mesure drastique : nous avons saisi le Tribunal suprême fédéral (STF) avec un Argument de non-respect d’un Principe Fondamental (ADPF) pour obliger le gouvernement à ne pas nous laisser mourir.
L’exécutif s’est spécialisé dans les pratiques consistant à accuser l’adversaire de faire ce qu’il fait et à le blâmer pour le résultat de ses omissions. L’un des symptômes du nouveau coronavirus était de rendre ce « modus operandi » encore plus évident. Tout en reprochant aux gouverneurs et en accusant le pouvoir judiciaire d’interférer dans leurs fonctions, il se croise les bras pendant la pandémie. Il accuse le STF de tentative de judiciarisation de la politique, alors qu’en fait, c’est la société civile qui est de plus en plus obligée de faire appel à la justice pour obliger l’Etat à assumer ses obligations.
Nous avons été contraints de faire appel à la plus haute juridiction car, alors que nous sommes confinés, nos territoires sont envahis et notre santé négligée. Selon la Coordination des organisations indigènes de l’Amazonie brésilienne (Coiab) et l’Institut de recherche environnementale de l’Amazonie (Ipam), le taux de mortalité dû à la maladie pour 100 000 habitants chez les populations autochtones de la région amazonienne est de 150 % supérieur à la moyenne nationale, et au moins 30 % des territoires analysés dans l’étude présentent un fort potentiel de contagion dû à la déforestation et à l’action des accapareurs de terres et des orpailleurs.
L’ADPF est une ressource inhabituelle, qui a « pour objet de prévenir ou de réparer l’atteinte au principe fondamental résultant d’un acte du Pouvoir Public », selon l’article 102 de la Constitution. Le document que nous avons déposé ce lundi (29 juin) auprès du STF compte plus de 80 pages qui peuvent être résumées comme une demande, fondée par la Constitution, pour que le gouvernement exerce son obligation de prendre soin de notre sécurité et de notre santé.
Le premier habitant autochtone vivant sur des terres autochtones à mourir de Covid-19 a été Alvanei Xirixana, un jeune yanomami de 15 ans - c’est-à-dire, hors du groupe à risque. Plus de 20 000 orpailleurs ont déjà envahi le territoire yanomami. On peut dire, sans exagération, que ces personnes et les populations autochtones isolées sont menacées d’extinction ; mais nous sommes tous extrêmement vulnérables, même ceux qui vivent dans les villes.
Selon le Comité national pour la vie indigène et la mémoire de l’Apib, au 27 juin, le pays comptait 378 autochtones morts, 9 166 personnes infectées et 112 peuples affectés par le virus. Sur la base de ces données, le taux de létalité chez les Autochtones est de 9,6%, contre 5,6% pour la population brésilienne en général. Une enquête de la Fondation Oswaldo Cruz (Fiocruz) montre que 48% des patients hospitalisés qui meurent sont Autochtones. Il s’agit du taux de mortalité le plus élevé du pays, dépassant les populations métisse (40%), noire (36%), asiatique (34%) et blanche (28%).
Parmi les morts que nous avons pleurés ces derniers jours, il y avait Paulo Paiakan. Il a été fondamental dans la conquête de nos droits constitutionnels. Il faisait partie de la génération précédente, à laquelle j’ai fait référence au début de ce texte, aux côtés des pionniers du mouvement autochtone, tels que Raoni, Mario Juruna et Aílton Krenak.
La Constitution de 1988 a été une avancée civilisatrice saluée par la plupart des nations comme un exemple à suivre. Par conséquent, elle n’est pas seulement une réalisation des peuples autochtones, mais un atout pour tous les Brésiliens, qui doit être défendu par tous. Et le meilleur remède non seulement contre le coronavirus, mais aussi pour d’autres maux à venir.