Boa Vista (RR), le 6 mai 2022
Face à la répercussion publique de la dénonciation des violences commises contre la communauté d’Aracaçá , l’Association Hutukara Yanomami (HAY) apporte des informations permettant de mieux cerner le contexte dans lequel se trouve cette communauté d’Aracaçá.
Ces derniers jours, la Hutukara a tenté de reconstituer les événements dénoncés par les Yanomami et, bien qu’elle n’ait pas pu recueillir suffisamment d’informations pour élucider la véracité du crime dénoncé, elle a rassemblé des informations révélatrices d’une séquence gravissime de tragédies liées à l’exploitation minière dans cette communauté.
Cette semaine, nous avons rencontré des autochtones vivant près de la région d’ Aracaçá, notamment une femme âgée de cette communauté qui se trouve à Boa Vista pour des soins médicaux. Les informations obtenues jusqu’à présent confirment le scénario désolant vécu par la communauté du fait des relations imposées par l’orpaillage, et comportent des déclarations réitérées de violences sexuelles en série.
Les rapports oraux enregistrés ont été croisés avec les données officielles du district sanitaire (recensements de la population de 2017 et 2022, ainsi que registres des décès), de sorte qu’il a été possible d’identifier la chronologie des récits. Les noms des personnes en question n’ont pas été divulgués afin de préserver la sécurité des informateurs.
Jusqu’à présent, il a été possible de constater que l’historique des tragédies dans la communauté a commencé en 2017, avec la mort d’un homme connu sous le nom de C. Sanumá. Dans la liste des décès du pôle Waikas (lequel fournit une assistance à Aracaçá), figure un mort, dans la tranche d’âge de 40 à 59 ans, assassiné par balle en 2017, très probablement C. Sanumá.
C. a été violemment assassiné au cours d’une bagarre, attisée par l’eau-de-vie distribuée par des orpailleurs à des autochtones. Le fait s’est produit près de la communauté d’Aracaçá, à proximité d’une chute d’eau.
C. avait deux épouses. Après sa mort, ses femmes se retrouvant dans une situation d’extrême vulnérabilité, ont été livrées à la prostitution dans les campements d’orpailleurs. Sa deuxième femme, appelée W. par les Yanomami, est décédée peu de temps après lui. S’il existe différentes versions de sa mort, il a été possible de confirmer dans le registre des décès 2018, le suicide d’une personne, de la même tranche d’âge que W, ayant entrainé la mort par empoisonnement.
Après la mort de W., l’une des filles de C. de sa première femme, appelée localement K., âgée à l’époque de seize ans, a été emmenée pour travailler comme prostituée dans un campement d’orpailleurs situé près d’Aracaçá. Les entretiens indiquent que K. a été exploitée sexuellement par des orpailleurs, étant parfois, entre autres abus, contrainte d’avoir des relations sexuelles avec plusieurs personnes en même temps. En outre, pendant cette période, K. a perdu un bébé, mort d’un traumatisme intracrânien. Le décès d’un enfant de cette tranche d’âge est également inscrit dans la liste officielle des décès en 2019.
Selon les rapports, K. a gardé des séquelles des relations sexuelles violentes avec les orpailleurs, et suite à un accident, elle souffrait notamment d’un handicap physique permanent, rendant difficile tout déplacement. K. est tombée enceinte d’un orpailleur connu sous le nom de "Pastor", et son enfant a été emmené en ville. Désespérée, elle s’est pendue. La version correspond également au registre des décès de l’année 2021.
Une fille de K. et une autre de W. ont été confiées à la mère de C., femme âgée se trouvant à Boa Vista pour un traitement médical.
L’enchaînement des tragédies qui ont marqué la famille de C. démontre que, dans le village d’Aracaçá, les cas d’abus et de violence sont très répandus. La vulnérabilité des personnes de la communauté est telle qu’il est tout à fait possible que de tels épisodes se répètent quotidiennement. Les faits relatés corroborent la perception des Yanomami de la région de Palimiu qui, en 2021, ont fait état de leur crainte de connaître une tragédie semblable à celle d’Aracaçá, laquelle tragédie est en train de conduire cette communauté à la disparition.
Les plaintes concernant Aracaçá ne peuvent être comprises que dans le cadre de ce scénario, celui selon lequel la moitié des villages de la Terre Autochtone Yanomami sont soumis à l’abus des envahisseurs.
Compte tenu de ce qui précède, nous préconisons une enquête plus large et plus approfondie sur les violences subies par les populations autochtones d’Aracaçá en raison de l’exploitation minière illégale en Terre Autochtone Yanomami. S’agissant d’un peuple autochtone, vivant selon ses coutumes traditionnelles et parlant sa langue ancestrale, ce travail requiert la participation continue de spécialistes ayant une formation technique en anthropologie, maîtrisant la langue et disposant de suffisamment de temps pour analyser les faits avec la profondeur qu’ils méritent. Il est également important de se rappeler que, dans la tradition culturelle Yanomami, les corps et les biens des morts sont incinérés ; il est donc fort probable qu’une fois le meurtre commis, il soit impossible de retrouver les restes des victimes, si ce n’est leurs cendres. La collecte des récits et la recherche de témoins au sein de la communauté sont donc fondamentales.
Le drame vécu par la communauté d’ Aracaçá n’est pas un fait isolé en Terre Autochtone Yanomami. Sur l’ensemble du territoire, l’orpaillage envahit nos terres, détruisant notre mode de vie, nos champs, générant la faim et la violence. Nos femmes et nos enfants sont violés de façon répétée dans plusieurs régions ravagées par l’orpaillage. Nos familles tombent malades et meurent de maladies facilement soignables. Nos jeunes meurent de la violence des armes à feu apportées par les orpailleurs.
Nous devons mettre un terme à la tragédie humanitaire qui frappe les Yanomami. Nous voulons voir, comme auparavant, nos familles en bonne santé et en sécurité. Cela ne sera possible que par la « désintrusion » de l’exploitation minière illégale en Terre Autochtone Yanomami et sa protection permanente contre toute nouvelle invasion. Nous avons besoin de l’engagement des autorités publiques et du soutien de la société pour protéger les Terres Autochtones, la terre-forêt et les vies des peuples autochtones. Si l’Union s’était conformée à l’ordonnance judiciaire du Tribunal Régional fédéral de la 1ère région qui, depuis 2020, a ordonné le retrait des mineurs illégaux de nos terres, de nombreuses tragédies subies par les Yanomami auraient pu être évitées.
Nous avons insisté à maintes reprises sur la nécessité d’expulser les envahisseurs de la Terre Autochtone Yanomami. Cette tragédie humanitaire aurait pu être évitée.
Nous voulons vivre en paix !