Ces dernières semaines, le campement « Lutte pour la vie » à Brasilia a retenu l’attention du monde entier. Les autochtones de tout le pays persistent mobilisés dans la capitale depuis le 22 août, attendant beaucoup du résultat du jugement du Tribunal fédéral supérieur (STF) qui définira l’avenir des terres autochtones. Bien que Brasilia soit le centre de l’attention, les manifestations ont également eu lieu dans d’autres régions du Brésil : du Nord au Sud, des chants, des rituels et des actions ont été organisés sur les routes et dans les villages eux-mêmes, avec des banderoles et des affiches protestant contre la thèse du « seuil temporel », en cours d’analyse par le STF.
Des photos et des vidéos enregistrées dans différentes régions montrent des enfants, des femmes, des hommes et des anciens d’au moins 30 peuples et communautés quilombolas participant aux mobilisations organisées dans tout le pays ces derniers jours. Les actions ont eu lieu les 1er et 2 septembre, dates auxquelles la Cour suprême a repris le procès qui devrait apporter une position définitive des juges sur les démarcations des terres autochtones, et surtout sur la thèse du « seuil temporel ».
À Brasilia et dans leurs territoires, les peuples autochtones se sont élevés avec force contre cette thèse, défendue par le caucus de l’agrobusiness et d’autres groupes intéressés par l’exploitation et l’appropriation des terres autochtones. Dans les manifestations, les peuples demandent à la Cour suprême de réaffirmer leurs droits constitutionnels et d’enterrer une fois pour toutes cette thèse anticonstitutionnelle.
Les manifestations ont eu lieu dans au moins onze États, ainsi que dans le District fédéral. Le peuple Xakriabá, situé dans le Nord du Minas Gerais, a étendu ses actions en dehors de la capitale. Dans une vidéo enregistrée par l’équipe du CIMI de la région Est, sur la Route nationale 135, dans la municipalité de São João das Missões (MG), Karine Xakriabá a manifesté un profond mécontentement à l’égard de la thèse du « seuil temporel ». « Nous venons de rentrer de Brasilia et maintenant nous nous mobilisons à la base. Le ‘seuil temporel’ est une mesure anticonstitutionnelle qui porte atteinte au présent et à l’avenir de toutes les générations de peuples autochtones » a-t-elle déclaré.
A Tefé, dans l’Amazonas, il y a également eu une mobilisation la semaine dernière. Anilton Braz da Silva Kokama, leader du village Porto Praia, Terre Autochtone (TI) Porto Praia de Baixo, a souligné que la lutte ne s’arrêtera pas maintenant. « Que le STF puisse considérer la cause autochtone avec humilité. Nous croyons que notre situation sera résolue, ainsi que la situation de ceux qui vivent et luttent quotidiennement pour survivre. Nous sommes contre le ‘seuil temporel’ et le PL 490, qui nous prive de nos droits. Mais nous irons jusqu’au bout et nous réussirons ».
Alors que les peuples Kambeba, Kokama, Tikuna, Miranha et Madja Kulina ont organisé une manifestation commune dans la ville de Tefé, les Matsés/Mayuruna du fleuve Jaquirana se sont rassemblés et ont déployé des pancartes contre la thèse du seuil temporel dans la TI Vale do Javari, également en Amazonas. À Roraima, les peuples Macuxi, Wapixana, Patamona et Taurepang ont organisé une manifestation à Pacaraima, dans le Nord de l’État, pour défendre leurs droits constitutionnels.
Dans le Mato Grosso, alors que les Xavante de la TI Marãiwatsédé ont fermé la Route nationale 158 pour manifester contre le seuil temporel, dans la TI São Marcos, une manifestation a été organisée sur leur propre territoire.
À Bahia, les peuples Tupinambá de Olivença, Pataxó Hã-Hã-Hãe et Pataxó ont organisé des manifestations sur les routes proches de leurs territoires, dans les régions des municipalités de Camacan, Ilhéus et Porto Seguro. Alors que les Tupinambá ont bloqué la route qui lie Ilhéus à Una, les Pataxó et les Pataxó Hã-Hã-Hãe ont bloqué différents tronçons des Routes nationales 101 et 257.
Au Maranhão, les peuples Akroá-Gamella et Krikati ont organisé des manifestations contre la thèse du seuil temporel sur les routes de l’État. Les Guajajara des TI Rio Pindaré et Caru et les peuples Ka’apor et Awa de la TI Alto Turiaçu ont, à leur tour, bloqué la Route nationale 316.
Dans la région Sud, les Avá Guarani de la Tekoha Curva Guarani ont manifesté sur leur territoire dans la municipalité de Santa Helena (PR). Dans le Nord du Rio Grande do Sul, les Kaingang ont organisé des actions dans les municipalités d’Iraí, sur la Route nationale 386, de São Valentim, sur la Route départementale 480, et de Getúlio Vargas, sur la route qui traverse la TI Ventarra, en plus d’une manifestation dans la TI Nonoai/Pinhalzinho.
À São Miguel das Missões (RS), les Mbya Guarani de Tekoa Koen’ju ont également organisé une manifestation locale, avec des pancartes exigeant « pas de seuil temporel » et « la démarcation maintenant ».
À Florianópolis (SC) et à Porto Alegre (RS), les peuples Guarani et Kaingang ont également organisé des manifestations dans le centre-ville. Dans la capitale du Rio Grande do Sul, les mouvements sociaux et populaires et les communautés urbaines quilombolas, se sont joints à la manifestation et au cri contre la thèse du seuil temporel.
Outre le « seuil temporel », les peuples Guarani et Kaiowá, dans le Mato Grosso do Sul, ont également rappelé la lutte contre le projet de loi (PL) 490/2007, une mesure qui vise à invalider la démarcation des TI. Vanderleia Guarani Kaiowá, du tekoha Rancho Jacaré, a demandé aux juges du STF et au pouvoir législatif fédéral de garantir la justice pour les peuples autochtones.
« Tous les peuples Guarani et Kaiowá du Mato Grosso do Sul manifestent contre le seuil temporel et contre le PL 490, en demandant justice. Démarcation de nos terres traditionnelles », a exigé Vanderleia. Parmi d’autres attaques contre les droits constitutionnels des peuples autochtones, le PL 490 cherche à rendre légale la thèse du « seuil temporel ».
Dans l’État du Mato Grosso do Sul (MS), les 1er et 2 septembre, des actions contre le « seuil temporel » et le PL 490 ont également eu lieu sur la Route nationale 163. En plus de la manifestation sur la Route nationale 163, les Guarani et Kaiowá des tekoha Gurya Kamby’i, Itay, Tajasu Igua et Laranjeira Nhanderu, dans les municipalités de Rio Brilhante et Douradina (MS), ont manifesté sur leurs territoires.
Outre les peuples Guarani et Kaiowá, les Terena, des villages Pilad Rebua, Lalima, Taunay et Cachoeirinha, des municipalités de Miranda et Aquidauana, occupaient la Route nationale 262. Il est possible de voir sur les enregistrements effectués par les manifestants eux-mêmes, la présence significative d’enfants dans le mouvement la semaine dernière.
Le 1er septembre a également été marqué par des actions menées par les peuples Tupiniquim et Guarani à Vitória, Espírito Santo. Même sous la pluie, ils ont manifesté, avec chants et danses, devant l’Assemblée législative de l’Espirito Santo.
Les mobilisations ont lieu dans les régions depuis la première semaine du campement « Lutte pour la vie », qui a débuté le 22 août. Le 25, des hommes, des femmes et des anciens du peuple Apinajé ont bloqué la Route départementale 210, en face du village de Prata, dans le Tocantins. La mobilisation a eu lieu le jour de la reprise du procès devant la Cour suprême fédérale.
Thèses en litige au STF
Dans le cadre du processus en cours d’analyse par l’assemblée plénière du STF, la Cour analysera le procès en dépossession intenté par le gouvernement de Santa Catarina contre le peuple Xokleng, se référant à la TI Ibirama-Laklãnõ, où vivent également les peuples Guarani et Kaingang. L’affaire a reçu, en 2019, le statut de « répercussion générale », ce qui signifie que la décision servira de ligne directrice pour la gestion fédérale et toutes les instances de la Justice en ce qui concerne les procédures de démarcation.
Deux thèses sont au centre du litige :
La thèse du « seuil temporel », proposition de l’agrobusiness qui restreint les droits des autochtones. Selon cette interprétation, jugée inconstitutionnelle, les peuples autochtones n’auraient droit qu’à la démarcation des terres qui étaient en leur possession le 5 octobre 1988, date de la promulgation de la Constitution. Cette thèse est défendue par des entreprises et des secteurs économiques qui ont des intérêts à exploiter et à s’approprier les terres autochtones.
Au seuil temporel s’oppose la « théorie de l’indigénat », consacrée par la Constitution fédérale de 1988. Selon cette théorie, le droit autochtone à la terre est « originel », c’est-à-dire qu’il est antérieur à la formation de l’État brésilien lui-même, indépendamment d’une date spécifique de preuve de possession de la terre ("seuil temporel") et même de la procédure administrative de démarcation territoriale elle-même. Cette thèse est défendue par les peuples et les organisations autochtones, indigénistes, environnementales et de défense des droits humains.
« Notre histoire n’a pas commencé en 1988, et nos luttes sont séculaires, c’est-à-dire qu’elles perdurent depuis que les Portugais et les envahisseurs européens successifs sont arrivés sur ces terres pour s’emparer de nos territoires et de leurs richesses », a réaffirmé le mouvement autochtone dans une déclaration publiée samedi 28. Les autochtones assurent également continuer à « résister, réclamer le respect de notre façon de voir, d’être, de penser, de sentir et d’agir dans le monde ».
Mobilisation autochtone
Au cours des dernières semaines d’août, six mille autochtones, issus de 176 peuples de toutes les régions du pays, étaient présents à Brasilia, rassemblés dans le campement « Lutte pour la vie » pour suivre le procès au STF et lutter pour la défense de leurs droits, protestant également contre l’agenda anti-autochtone du gouvernement Bolsonaro et du Congrès national, dans la plus grande mobilisation autochtone depuis 1988.
Après le début du procès et les reports de séances, une partie des autochtones a décidé de maintenir la mobilisation à Brasilia et dans les territoires. Ainsi, environ 1 200 dirigeants autochtones, représentant leurs peuples, sont restés à Brasilia, et le campement « Lutter pour la vie » a été déplacé vers un nouveau lieu, la FUNARTE (Fondation nationale d’Arts).
Suivant les protocoles sanitaires de lutte contre le Covid-19, le groupe suivra le procès et s’associera à la deuxième marche des femmes autochtones, qui aura lieu du 7 au 11 septembre. Les autochtones restent également mobilisés dans les territoires, en permanence.
Prochaine session du STF
Après la présentation de tous les arguments oraux, la session du STF devrait reprendre mercredi prochain, 8 septembre, à 14 heures. Il est prévu que le vote du juge rapporteur Edson Fachin soit lu, suivi de ceux des autres juges de la Cour.
A rappeler : PL 490
Le projet de loi 490/2007, défendu par le caucus de l’agrobusiness prévoit une série de modifications des droits territoriaux garantis aux peuples autochtones dans la Constitution fédérale de 1988, rendant irréalisable, dans la pratique, la démarcation des terres autochtones et ouvrant les terres démarquées aux activités économiques les plus diverses, telles que l’agrobusiness, l’exploitation minière et la construction de barrages hydroélectriques, entre autres mesures. Selon le conseiller juridique de la CIMI, la forme même de la proposition est inconstitutionnelle, car la Constitution fédérale ne peut être modifiée par un projet de loi.
L’avis du rapporteur du PL 490, le député fédéral Arthur Maia (DEM-BA), a été approuvé par 41 voix contre 20 par la Commission Constitution, Justice et Citoyenneté (CCJ) de la Chambre des députés, en juin. Maintenant, le projet peut être mis à l’ordre du jour de la Chambre entière.
L’approbation du PL 490 par la CCJ s’est faite sans que des centaines de leaders autochtones soient entendus. Ils manifestaient depuis des semaines contre cette mesure et, la veille de l’approbation, ils ont été violemment réprimés par les polices législative et militaire.