Une réunion qui révèle la super « opportunité » pour un génocide autochtone

 | Par Felipe Milanez, Midia Ninja

Lors de l’étrange réunion des ministres qui a choqué, certaines questions qui concernent directement les conflits écologiques ont particulièrement retenu mon attention : les propos racistes, les valeurs des missions évangéliques, les intérêts internationaux et la dérèglementation environnementale. Apparemment déconnectés, ils s’inscrivent en fait dans une logique de génocide qui se déroule aujourd’hui au Brésil, en particulier contre les peuples autochtones et les Quilombolas d’Amazonie. Ils ont été plus clairement dévoilés dans les commentaires d’Abraham Weintraub, de Ricardo Salles et de Damares Alves. Ce ne sont pas des paroles en l’air. Ils révèlent une logique qui conduit à des actions et à la mort de certains groupes spécifiques - et ils entendent profiter de ces morts pour conquérir des ressources naturelles et des territoires. Littéralement.

Weintraub, qui répond à un procès pour racisme, a déclaré qu’il détestait l’expression « peuples autochtones ». Et il a été félicité par le Président. Pour lui, il n’y a pas d’autre peuple que le « peuple brésilien ». Celui qui pense différemment, « fait marche arrière » - jusqu’à la mort ?

« Je déteste le terme "peuples autochtones", je déteste ce terme. Je déteste ça. Le "peuple gitan". Il n’y a qu’un seul peuple dans ce pays. Ça vous va ? Ça vous va. Ça ne vous va pas, dégagez de là. »

La haine des peuples autochtones a été explicitement citée, mais c’est la haine de toute différence. Des « Tsiganes » comme il les cite également, et de tous ceux qui se reconnaissent différents de l’hégémonie blanche coloniale : c’est une hypothèse raciale d’élimination. L’Autre, « dégage de là » - et du bras, il indique une direction, le geste menaçant.

Cette haine, exprimée par Weintraub, est liée à la précédente intervention de Ricardo Salles. Pour vendre le pays aux intérêts du capital international et de l’élite économique brésilienne, « que le monde entier dans ces voyages dont parlait Onyx l’a certainement accusé, a accusé Paulo... a accusé Teresa, a accusé Tarcísio », il y a une opportunité offerte par la presse en ce moment : l’attention de toute la presse (c’est-à-dire de l’opinion publique) pour la pandémie. Pour le capital financier (Guedes), les mines (Onyx et Tarcísio) et l’agro-négoce (Teresa), la seule chose qui manque, c’est une régulation".

Il ne s’agit pas seulement de l’Amazonie, mais aussi de la forêt atlantique, explicitement citée, et de toutes les zones d’expansion de la frontière agricole, qui comprend le Cerrado et la Caatinga.

« Il est temps de faire traverser "les bœufs". C’est "l’opportunité" que la "trêve" apporte. Rien de tel qu’une tragédie ou un génocide pour que la politique de choc favorise l’expansion du capital. »

Cette grande « fenêtre d’opportunité » a atteint, à ce jour du 23 mai, 61 peuples autochtones, selon le dernier bulletin du Comité national pour la vie et la mémoire indigènes, organisation dirigée par l’Articulation des peuples indigènes du Brésil (APIB). Il y a déjà plus d’un millier d’Autochtones contaminés et 125 morts. Ces données sont plus proches de la réalité que celles du ministère de la Santé du gouvernement fédéral, qui comptabilise pour l’instant 34 décès et 700 contaminations. Pour le capital, il est plus intéressant d’investir en suivant les données du mouvement autochtone.

Dans l’optique du ministre Salles, Sars-CoV-2 est une formidable opportunité offerte à ceux qui veulent étendre les exploitations agricoles et minières à de nouvelles zones, de nouveaux territoires. Des espaces forestiers qui se vident de leurs habitants, c’est une « occasion » à « saisir ». Tous ces gens qui devraient « dégager de là » - des gens que Weintraub déteste, avec la bénédiction du Président, et que bientôt, tous, dans leurs pratiques politiques, si ce n’est personnelles, détesteront aussi.

Manifestation à Brasilia contre le projet de loi 191/2020 sur l’exploration des ressources naturelles sur les terres autochtones (Photo : APIB)

Il y a déjà des cas parmi les Kayapó, au Pará, où le gouvernement encourage l’orpaillage illégal - Salles en s’opposant ouvertement aux opérations de l’IBAMA et en réprimant les inspecteurs qui ont enlevé la machinerie d’orpaillage précisément dans l’un des villages touchés. Il existe déjà des cas entre les Kaiowá et les Guarani, dans le Mato Grosso do Sul, où l’agro-négoce tente également de « tirer profit » d’une ordonnance de l’AGU (Bureau du procureur général) qui empêche la délimitation des terres indigènes par un argument de « calendrier » qui est jugé, en ce moment, au STF (Tribunal suprême fédéral) - une thèse qui affirme que les propriétaires fonciers sont arrivés avant les Autochtones sur les terres requises par ces derniers, ce qui fait autant sens que la théorie de la terre plate.

Cette haine des « peuples autochtones » qui ouvre une fenêtre d’opportunité pour la vente des ressources naturelles et des terres aux sociétés internationales, au capital financier et aux propriétaires fonciers, comme l’a conçu Salles, est chose simple à réglementer, « c’est juste, un avis, un stylo, un avis, un stylo ». Et elle s’appuie également sur le discours de Damares Alves - la ministre qui devrait défendre les droits humains et ceux des peuples autochtones et traditionnels.

Dans ce cadre, Damares Alves affirme que la politique indigène qu’ils mettent en place « fonctionne ». Elle a découvert qu’il y a plus de collecteurs de latex qu’elle ne l’imaginait et pense que les Ukrainiens, vivant au Brésil, sont un peuple traditionnel - une confusion qui n’est pas le fruit du hasard, puisqu’elle vise à affaiblir le droit à la reconnaissance des terres des populations qui occupent traditionnellement des territoires.

Elle a raconté une histoire selon laquelle elle s’était rendue à Roraima pour enquêter sur le premier décès qui, selon elle, aurait eu lieu le 12 avril - mais en réalité, c’était le 9. Elle faisait référence au jeune Yanomami de 15 ans, décédé de la Covid-19. L’Association Hutukara Yanomami soupçonne qu’il avait été infecté à travers l’invasion des orpailleurs en terres indigènes Yanomami - invasion identique à celles mentionnées ci-dessus, soutenues par Salles et Bolsonaro. L’affaire a été marquée par le racisme démontré dans les actions du Secrétariat spécial de la santé indigène, jusqu’à son enterrement. Sans aucune communication avec sa propre famille, un acte « inhumain et infâme » décrit l’anthropologue Bruce Albert, ami des Yanomami depuis des décennies.

C’est de là que vient la plus bizarre des histoires de Damares : « Nous avons été informés qu’il y aurait une contamination criminelle à Roraima et en Amazonie, menée de manière intentionnelle parmi les « Indiens », pour décimer des villages et des peuples entiers, avec l’intention d’en faire porter la responsabilité au Président Bolsonaro. »

Une fois de plus, l’attaque menée est ciblée. Il s’agit de semer la théorie de la conspiration selon laquelle les ONG et les intérêts étrangers - non ceux représentés par Guedes, Onyx, Teresa, Tarcísio... - seraient à l’origine de la tragédie actuelle (comme celle selon laquelle ce sont eux qui auraient mis le feu en Amazonie). Il s’agit de produire un génocide et de nier le génocide. Mais cette attaque menée par Damares a aussi, outre les cibles, des alliés anonymes qui la soutiennent : des agences missionnaires évangéliques fondamentalistes d’origine nord-américaine.

Damares, « terriblement chrétienne », est l’une des fondatrices d’ATINI, une mission issue de la JOCUM (Jeunes avec une mission), qui est associée à un réseau de missions telles que les « Nouvelles Tribus du Brésil » et les « Ailes de l’Aide », toutes ayant leur siège en Floride, et toutes étant affiliée, avec 40 autres missions, à l’Association des Missions Transculturelles Brésiliennes (AMTB).

Ces missions sont également au centre d’un débat actuel directement lié aux actions génocidaires décrites ci-dessus. Jeudi dernier, le juge Souza Prudente du TRF 1 (Tribunal Régional Fédéral) a suspendu la nomination du pasteur Ricardo Lopes Dias de la Coordination générale des Autochtones isolés et des contacts récents de la FUNAI (CGIIRC). Dias a travaillé pendant plus de dix ans à l’évangélisation des Autochtones pour le compte de la mission « Nouvelles Tribus du Brésil » puis, comme le révèle un article du journal O GLOBO, a suivi le travail d’évangélisation missionnaire (ce qu’il a omis).

Le recours contre l’action évangélique de Damares dans la FUNAI a été déposé par le MPF (ministère public fédéral) et par l’UNIVAJA (Union des peuples indigènes de la vallée de Javari), au sein de laquelle le peuple autochtone, qui avait déjà obtenu une injonction de la justice fédérale pour empêcher l’entrée des missionnaires dans les villages pendant la Covid-19, a dénoncé l’ethnocide pratiqué par la mission à laquelle Dias appartenait et que Damares soutient.

Ce même jeudi, le lobby de ces missions évangéliques au Congrès a réussi à manœuvrer et à insérer un paragraphe dans le PL 1142 (projet de loi), qui prévoyait des mesures de protection des peuples autochtones, pour garantir la permanence des missionnaires dans les zones indigènes, en particulier là où vivent des peuples isolés. Le mouvement autochtone a rapidement dénoncé, dans les médias sociaux, le risque que cette manœuvre entraîne : outre l’ethnocide en temps normal, le risque de génocide se fait également présent.

Pourquoi défendre des missions évangéliques fondamentalistes en pleine pandémie et dans un débat sur l’expansion des intérêts économiques face à la mort d’Autochtones ? De nombreuses hypothèses révèlent qu’il ne s’agit pas de simples hasards. Il y a urgence ! Le succès de la politique indigène de Damares et Bolsonaro pourrait être sans retour et à jamais dévastateur si le PL 1142 avec un article garantissant la permanence des missionnaires religieux dans les zones autochtones est approuvé au Sénat.

D’une part, la « question des valeurs » que Damares cite dans son discours est évidente : A travers l’ethnocide, apporter les valeurs chrétiennes et l’esprit du capitalisme dans les villages. Contribuer à l’expansion de l’agro-négoce et de l’industrie minière, dans une relation sombre et peu évoquée des associations en cours aujourd’hui au sein de la FUNAI lesquelles ne sont pas dans la bible, mais bien dans le monde réel. Relation qui a également été révélée cette année, avec la nomination de Dias à la FUNAI et le lobbying du fils du président des Nouvelles Tribus en faveur des envahisseurs des terres indigènes.

D’autre part, la nécro-politique elle-même : au cas où ils contracteraient l’épidémie, de nouvelles zones s’ouvriraient au capital, tandis que les âmes sauvages s’accumulent sur le marché spirituel.

(Photo : Fernanda Kaingang)

À Tabatinga, le MPF étudie la relation entre les services évangéliques dans un village autochtone et la propagation du coronavirus dans les Solimões supérieurs. Dans l’action intentée par UNIJAVA contre les Nouvelles Tribus et d’autres missionnaires, les autochtones écrivent : « Et les populations autochtones ne peuvent pas être à la merci de la contamination mortelle par la folie de ceux qui croient avoir un contact direct avec le Créateur ! »

Si les orpailleurs ont apporté le coronavirus aux Yanomami aujourd’hui, l’épidémie la plus dévastatrice qu’ils ont connue a été la rougeole. Et elle est arrivée précisément par des missionnaires des Nouvelles Tribus, comme en témoigne le leader indigène Davi Kopenawa dans le livre La chute du ciel (Cia das Letras, 2015) : « L’épidémie de rougeole nous a frappés à la mission » (p. 264), amenée, dans l’avion de la mission, par la fille de deux ans d’un missionnaire américain qui avait été infectée à Manaus. Cette épidémie s’est étendue à plusieurs villages, même au Venezuela. C’était en 1967, pendant la dictature civilo-militaire, dont Bolsonaro a fait l’éloge à plusieurs reprises, lors de cette réunion fatidique.

Voir en ligne : Reunião revela a grande « oportunidade » do genocidio indigena

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