Vingt ans du Campement Terre libre et l’urgence d’agir

 | Par APIB

À l’occasion des vingt ans de lutte et de résistance du Campement Terre Libre, la plus importante des manifestations autochtones du Brésil, nous écrivons cette lettre dans un moment crucial pour les peuples autochtones du Brésil. Malgré le récent changement de gouvernement, les menaces qui pèsent sur nos territoires, nos cultures et nos droits persistent, menaces encore aggravées par l’année la plus chaude jamais enregistrée, fait historique qui met en évidence l’urgence permanente pesant sur les peuples autochtones. Nous continuons à affirmer l’URGENCE de la démarcation de nos terres ! Président Lula, nous ne voulons pas vivre dans des fermes ! La proposition d’acheter des terres pour y installer nos peuples va à l’encontre du droit originel d’occupation traditionnelle garanti par la Constitution fédérale de 1988. Nous sommes déjà dans la deuxième année de ce gouvernement et vos promesses en matière de démarcation n’ont toujours pas été tenues. Rui Costa, le ministre chef de la Casa Civil [1], continue de « tirer les ficelles » en ce qui concerne l’approbation des terres autochtones et nous ne pouvons pas accepter cette situation.

Dans une récente déclaration du président Lula, il a été dit que les gouverneurs des Etats fédérés avaient besoin de "temps" pour négocier la démarcation des terres autochtones. Mais qu’en est-il du temps des peuples autochtones, de notre temps ? Notre temps, c’est maintenant, c’est urgent et c’est inéluctable. Pendant que l’on discute des délais et que l’on donne plus de temps aux politiciens, nos terres et nos territoires continuent d’être menacés, nos vies et nos cultures sont en danger et nos communautés sont en lutte continuelle pour leur survie. Nous ne pouvons pas nous contenter de prendre le temps alors que nos droits fondamentaux sont négligés. Le temps que nous voulons, c’est le temps de l’action immédiate, où chaque seconde compte pour honorer nos ancêtres et protéger l’avenir de nos générations et de l’humanité.

Assez du « génocide légiféré » ! Nos droits ne peuvent être négociés et personne ne retirera les droits autochtones de la Constitution ! L’entrée en vigueur de la loi 14.701/2023 est le plus grand recul de nos droits depuis la redémocratisation et fait couler le sang autochtone dans tout le pays. Le meurtre de la chamane Nega Pataxó Hã-Hã-Hãe par des miliciens opposés à la reprise du territoire Caramuru-Paraguaçu dans l’État de Bahia en est un exemple. La nouvelle loi prévoit la « légalisation » des crimes et récompense les envahisseurs de territoires. Au cours du premier mois d’application de la loi 14.701/2023, l’expansion de l’agronégoce et l’allocation de terres à la monoculture et à l’exploitation minière ont provoqué 9 meurtres de personnes autochtones et 23 conflits dans des territoires situés dans 7 États et 5 biomes. Le lobby du Front agricole dit « Bancada du bœuf et des balles » s’en prend à nos vies et à nos territoires et veut supprimer les droits des peuples autochtones de la Constitution, mais le Tribunal Supérieur Fédéral (STF) a réaffirmé que nos droits originels ne peuvent pas être abolis. Pendant qu’ils veulent piétiner la terre avec leur bétail, nous implantons l’État ! Après de nombreuses luttes et articulations lors de la campagne électorale autochtone, nous avons élu le « Groupe parlementaire de la coiffe » et, pour la première fois, nous occupons des postes de haut niveau au sein du gouvernement fédéral et des gouvernements des États. Mais pour continuer à occuper des espaces de pouvoir, nous avons besoin de la réglementation de l’action positive afin de lutter contre le racisme institutionnel. Nous reconnaissons donc les efforts du Tribunal Supérieur Electoral (TSE) et du Conseil national de la justice visant à garantir des fonds de réserve aux candidats autochtones pour les campagnes électorales ainsi qu’au moins 3 % des postes vacants dans les examens publics de la magistrature. Cependant, nous avons besoin que les Trois pouvoirs constitutionnels s’engagent à réglementer immédiatement et à étendre les quotas pour les autochtones dans tous les appels d’offres publics.

Certains médias ont déclaré que le Campement Terre Libre avait exclu la présence de Lula à la mobilisation, mais en fait, ce sont les peuples dont les terres n’ont pas été délimitées qui sont exclus. Alors que l’Amazonie brésilienne s’apprête à accueillir la COP 30, nous n’avons pas de quoi nous réjouir tant que nos droits territoriaux et nos savoirs ancestraux ne seront pas compris comme la principale solution à l’urgence climatique.

Face à cette réalité indéniable, cette lettre, adressée aux Trois pouvoirs constitutionnels - Exécutif, Législatif et Judiciaire - porte les demandes et les urgences de notre mouvement. Nous, de l’Articulation des peuples autochtones du Brésil (APIB), avec toutes nos organisations régionales de base (Articulation des peuples et organisations autochtones du Nord-Est, Minas Gerais et Espírito Santo (APOINME), Articulation des peuples autochtones de la région Sud (ARPINSUL), Articulation des peuples autochtones de la région Sud-Est (ARPINSUDESTE)), et l’Assemblée générale du peuple Guarani -Kaiowá́ (Aty Guasu), la Commission Guarani Yvyrupa, la Coordination des organisations autochtones de l’Amazonie brésilienne (COIAB) et le Conseil du peuple Terena), nous exigeons des mesures efficaces pour garantir la protection et le renforcement des droits autochtones, conformément à la dignité et à la justice historiquement revendiquées par nos peuples.

Au Pouvoir Exécutif

  1. Démarcation immédiate des Terres autochtones(TI) de Morro dos Cavalos (SC), Toldo Imbu (SC), Xucuru Kariri (AL) et Potiguara de Monte-Mor (PB), annoncées parmi les Terres autochtones(TI) qui seront homologuées dans les 100 premiers jours du mandat, comme l’indique le rapport du gouvernement de transition.
  2. Finalisation du processus de démarcation des 23 TI dont les processus de démarcation administrative n’attendent que la publication du décret et qui figurent sur la liste transmise par le ministère des Peuples autochtones au ministère de la Justice lors de la réforme ministérielle de 2023.
  3. Détermination politique et allocation budgétaire pour la poursuite de la démarcation, de l’homologation, de la protection et de la garantie de la possession totale et permanente de TOUTES les terres autochtones existantes dans toutes les régions et biomes du Brésil : Cerrado, Pampa, Pantanal, Caatinga, forêt atlantique et Amazonie.
  4. Renforcement du ministère des Peuples autochtones, de la Fondation nationale des peuples autochtones (FUNAI) et du Secrétariat spécial à la santé des autochtones (SESAI) avec un budget conséquent compatible avec les défis que représente le renforcement des politiques et des actions en faveur des peuples autochtones.
  5. Volonté plus ferme du gouvernement fédéral de mettre fin à l’agenda anti-autochtone au sein du Congrès national, avec un engagement concret de la part de la « Casa civil » et du ministère des Relations institutionnelles, ainsi que de la part des leaders du gouvernement au Parlement, au Sénat et à la Chambre des députés.
  6. Garantir le renforcement du Sous-système de santé autochtone par le biais du SESAI et empêcher la municipalisation des politiques et des actions de santé destinées aux peuples autochtones. Garantir, dans le cadre de toutes les politiques de santé publique, le Contrôle social de la santé autochtone, avec la participation effective des conseils locaux et de district, du Forum des présidents de Conseil de district sanitaire pour les autochtones (CONDSI) et du mouvement autochtone.
  7. Créer, au sein du ministère de l’Éducation, le Secrétariat spécifique à l’éducation scolaire autochtone, chargé de gérer les politiques publiques destinées aux peuples autochtones et d’articuler un système propre, constitué d’équipes composées d’autochtones et de spécialistes, garantissant des ressources financières spécifiques pour la mise en œuvre et le fonctionnement du système, valorisant les professionnels et la formation continue.
  8. Introduire l’enseignement secondaire et technique professionnel dans les écoles autochtones, afin d’offrir une éducation plus complète en accord avec les projets de société des peuples autochtones. Garantir l’accès et la permanence des étudiants autochtones dans l’enseignement supérieur et les programmes de troisième cycle, ainsi que l’inclusion des connaissances traditionnelles et des langues autochtones dans les plans politico-pédagogiques.
  9. Garantir l’auto-applicabilité de la Convention 169 de l’Organisation internationale du travail (OIT), en ce qui concerne le droit à une consultation libre, préalable et informée sur toutes les mesures administratives et législatives qui nous affectent, telles que l’installation de projets sur nos territoires, qui nous exclut de la phase de planification, de suivi et d’évaluation, et diverses politiques découlant de la nouvelle économie verte. Il est essentiel que le gouvernement respecte les protocoles communautaires élaborés collectivement par nos peuples.
  10. Garantir la mise en œuvre effective des espaces institutionnels de participation et de contrôle social, en respectant l’autonomie de nos peuples et de leurs organes de représentation légitimes.
  11. Mettre en place une politique spécifique de sécurité et de protection du territoire qui donne la priorité à la répression et à l’élimination rigoureuse de tous les types d’organisations criminelles qui attisent les conflits et la violence contre nos peuples et nos territoires en menaçant nos communautés, en persécutant et en assassinant nos dirigeants.
  12. Restructurer efficacement le Programme de protection des défenseurs des droits humains, des professionnels de la communication et de l’environnement (PPDDH), afin d’adapter le budget nécessaire, de tenir compte de la spécificité des dirigeants autochtones menacés, de prendre en compte les problèmes politiques dans les relations avec les États fédérés et les organismes de sécurité publique pour la mise en œuvre des mesures de protection, et d’établir un dialogue pédagogique avec le système judiciaire pour sensibiliser et former les opérateurs juridiques à l’agenda des défenseurs des droits humains.
  13. Financer les Plans de gestion territoriale et environnementale des terres autochtones en tant qu’alternative communautaire pour freiner l’avancée de l’exploitation minière industrielle et de la prospection en terres autochtones.
  14. Mettre en œuvre des mesures visant à éliminer les impacts de la chaîne de production et d’exportation des matières premières sur les territoires autochtones, notamment en adoptant un système national de traçabilité et en souscrivant aux réglementations internationales qui visent à promouvoir des chaînes de production exemptes de déforestation et de violations des droits. En outre, réfuter les accords bilatéraux ou multilatéraux qui favorisent l’expansion de la frontière agricole, tels que l’accord de libre-échange entre le Mercosur et l’Union européenne.
  15. Promouvoir la durabilité économique de nos territoires en stimulant et en finançant les multiples formes de production autochtone. Il s’agit d’un moyen efficace de promouvoir la protection des territoires contre l’allocation de terres, l’agriculture extensive utilisant des pesticides et les invasions par les accapareurs de terres, les exploitants forestiers et diverses organisations criminelles. Nous devons générer des revenus et valoriser les savoirs ancestraux de nos peuples qui vivent en harmonie avec l’environnement depuis des générations.
  16. Créer des politiques publiques spécifiques pour les femmes, les jeunes et les peuples autochtones dans un contexte urbain, dans le but de lutter contre les vulnérabilités qu’ils subissent, en tenant compte de la diversité et de l’organisation sociale de chaque peuple.
  17. Promouvoir la décarbonisation de la matrice énergétique brésilienne, en encourageant les énergies renouvelables qui préviennent et réparent les dommages socio-environnementaux, dans le respect des droits des peuples autochtones et des communautés traditionnelles, afin de protéger nos modes de vie, nos traditions et notre biodiversité de la production d’énergie à grande échelle. La production d’énergie propre doit donc inclure parmi ses garanties le contrôle public de l’utilisation des terres, l’obligation de mener des consultations préalables de l’Évaluation des impacts environnementaux/Rapport des impacts environnementaux (EIA/RIMA), le suivi des projets et la réparation intégrale des dommages causés.
  18. Consolider l’expérience de la Commission de désintrusion, issue des victoires judiciaires du mouvement autochtone dans l’Argumentaire sur le non-respect d’un précepte fondamental (ADPF 709), en une politique publique d’État qui réglemente et prévoit un budget pour la désintrusion de toutes les terres autochtones envahies.
  19. Un effort interministériel pour mettre en œuvre la Convention de Minamata au Brésil, en garantissant des espaces pour la participation effective des autochtones à ce processus et l’engagement des autorités publiques à présenter des mesures et le budget correspondant pour la récupération des territoires autochtones contaminés par le mercure utilisé dans l’exploitation minière illégale.

Au Pouvoir Législatif

  1. Retirer et classer définitivement les propositions d’amendements à la Constitution (PEC) qui déconstitutionnalisent les droits autochtones, telles que les PEC 132/2015, PEC 48/2023, PEC 59/2023 et PEC 10/2024, étant donné que les droits autochtones sont des clauses permanentes et qu’ils ne peuvent subir de retraits, même sous la forme de propositions d’amendements à la Constitution fédérale.
  2. Mettre fin au « génocide légiféré » et adopter des projets de loi qui garantissent les droits des peuples autochtones, en rendant la Politique nationale de gestion territoriale et environnementale des terres autochtones (PNGATI) une politique d’État (PL 4347/2021), en reconnaissant les agents de santé autochtones et les agents d’assainissement autochtones dans le sous-système de soins de santé autochtones (PL 3514/2019), en permettant des mesures pour lutter contre la violence à l’égard des femmes autochtones (PL 4381/2023) et en garantissant des quotas pour les peuples autochtones dans les appels d’offres publics aux niveaux fédéral, des Etats fédérés et municipaux (PL 4386/2019, PL 5. 476/2020 et PL 1.958/2021).
  3. Ratification par l’État brésilien de l’accord d’Escazú, afin d’engager le Brésil au niveau international dans la défense de l’environnement et de ses défenseurs et d’accroître la transparence et la participation sociale dans la prise de décision en matière d’environnement et de climat.

Au Pouvoir Judiciaire

  1. Déclaration immédiate d’inconstitutionnalité de la loi 14.701/2023 par le STF afin d’endiguer la violence contre les peuples autochtones, en réaffirmant le Droit originel et en excluant définitivement l’application de la thèse du Seuil temporel, conformément à la décision de l’arrêt de l’appel extraordinaire 1.017.365.
  2. Réglementation immédiate de la consultation dans laquelle le TSE reconnaît le droit des candidats autochtones aux fonds de réserve et à la campagne de publicité électorale, afin de favoriser l’implantation locale de la politique institutionnelle à partir des élections municipales de 2024, en élargissant le Groupe parlementaire de la coiffe au sein des pouvoirs législatif et exécutif. Outre l’auto-déclaration des candidatures autochtones, le mouvement autochtone exige qu’il y ait une déclaration des dirigeants autochtones attestant de l’appartenance ethnique du candidat selon les usages, coutumes et traditions de chaque peuple.
  3. Garantir l’accès des peuples autochtones à la justice, en obligeant les interprètes à travailler dans leur langue maternelle et en élaborant un rapport anthropologique qui tienne compte de la compréhension des communautés autochtones des comportements typiques reprochés par la justice pénale et qui observe nos propres mécanismes de jugement et de sanction.

PAS DE DÉMOCRATIE SANS DÉMARCATION ! EN AVANT !
NOUS SERONS TOUJOURS ICI, NOTRE SEUIL N’ EST PAS TEMPOREL !
IL EST ANCESTRAL !

Voir en ligne : Vinte anos de Acampamento Terra Livre e a Urgência da Ação

[1Les attributions fondamentales de la Casa Civil consistent à conseiller directement le chef de l’exécutif sur la coordination des actions du gouvernement, y compris celles des autres ministères. Ils sont également chargés d’évaluer les propositions législatives que le chef de l’exécutif soumet au pouvoir législatif, ainsi que de s’occuper de la publication des actes officiels du gouvernement. Source : Wikipédia

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