10 jours de présidence Bolsonaro : un premier bilan

 | Par Autres Brésils

Photo : Pedro França/Agência Senado/ 1er Janvier 2019

Jair Bolsonaro avait promis une véritable thérapie de choc dès son accession au pouvoir. Depuis 10 jours les mesures, les circulaires et les décrets s’enchaînent et dessinent l’avenir politique et social du Brésil. Les réformes sont nombreuses et il nous a semblé important d’en dresser une première liste.

Plusieurs mesures présidentielles sont d’ores et déjà entrées en vigueur, dans l’attente d’un vote parlementaire. Les classes populaires sont touchées par ces premières décisions. Le nouveau président a entériné, le jour même de son investiture, une baisse de l’augmentation prévue du SMIC [1] , qui ne sera revalorisé qu’à 998 R$ (environ 231,55€) au lieu de 1006,00 R$, comme voté par le Parlement . Jair Bolsonaro a également acté l’extinction du Conseil national de sécurité alimentaire et nutritionnel (Consea), qui coordonne le programme Bolsa Família [2].

Dans le même temps, le ministère du Travail a été supprimé et ses compétences ont été transmises à celui de l’Économie. Ce transfert laisse planer l’inquiétude sur l’avenir du Droit du travail, qui pourra être dérégulé au profit de mesures de libéralisation. La Fédération nationale des avocats a dores et déjà saisi la Cour suprême pour dénoncer un éventuel conflit d’intérêt [3] .

Les ministères de la Culture, des Villes, du Sport et de l’Intégration raciale ont été supprimés, ainsi que la structure d’État chargée des politiques publiques à destination des personnes LGBTIQ. Ces transformations ministérielles montrent la volonté présidentielle de stigmatiser et d’exclure une partie des citoyens brésiliens : personnes précaires, intellectuels et artistes, population noire, LGBTI…

Les peuples autochtones et les quilombolas sont également ciblés par cette première vague de mesures. La démarcation des terres indigènes vient d’être transférée au ministère de l’Agriculture, placé sous la tutelle d’une ministre issue du lobby de l’agrobusiness et ouvertement opposée aux intérêts des peuples autochtones. Face à cette décision, l’Articulation des Peuples Indigènes du Brésil a saisi le Procureur général de la République en demandant la suspension de ce transfert de compétence.

Élu sur un discours de rejet du Parti des travailleurs (PT) et des « idéologies de gauche », Jair Bolsonaro a commencé à opérer une véritable purge parmi les employés de la Maison civile. Après la publication d’une circulaire ministérielle, environ 320 fonctionnaires occupant des postes de confiance ont été licenciés. Ils seront évalués sur des critères encore imprécis, afin de réintégrer leur poste. Selon Onyx Lorenzonni, chef de la Maison civile, la mesure aurait pour objectif de "dépétiser" le gouvernement.

Cette « croisade anti-gauchiste » est également visible sur le plan géopolitique. Lors de la dernière réunion du Groupe de Lima, le nouveau Ministre des Affaires Étrangères a déclaré que le Brésil ne reconnaissait plus la présidence de Maduro au Venezuela. Toujours sur le plan international, le Brésil est également sorti du Pacte Global de Migration, signé en décembre 2018 lors de la rencontre de Marrakech.

Les mouvements sociaux seront quant à eux soumis à une surveillance accrue. Actuellement dirigé par le Général de l’Armée de terre Carlos Alberto dos Santos Cruz, le Secrétariat du gouvernement, en plus de ses fonctions habituelles, aura la charge de « superviser, coordonner et accompagner les activités et les actions des organismes internationaux et les ONG sur le territoire national ».

Outre les nominations de généraux au gouvernement, l’emprise de l’institution militaire sur la vie politique nationale est clairement présente par la création d’un Sous-sécretariat pour les écoles civilo-militaires au sein du Ministère de l’Éducation.

Aux mesures présidentielles, s’ajoutent les premières mesures ministérielles qui confirment la ligne politique sécuritaire du nouveau gouvernement.

À la demande du gouverneur du Ceará, le ministre de la Justice et de la Sécurité publique, Sérgio Moro, a autorisé l’utilisation de la Force nationale pendant 30 jours pour agir dans le cadre d’une vague de violence dans cet état du nord-est brésilien. Selon l’ordonnance du ministre, la force nationale assurera le maintien de l’ordre, entre autres mesures de sécurité, en soutien aux forces de police déjà en activité dans l’état.

Un autre attribut marquant de ces premiers 10 jours de gouvernement est le caractère instable de certaines décisions prises par le nouveau président. De la suspension de tout effort de réforme agraire, à l’installation d’une base d’opération de l’armée étasunienne au Brésil, en passant par l’augmentation des taxes lors des opérations financières, Jair Bolsonaro s’est vu à plusieurs reprises obligé par ses alliés à revenir en arrière et à abandonner des mesures prises quelques heures auparavant.

Dans la prise de décisions, les mesures symboliques et les déclarations d’intention éclairent également la personnalité du nouveau président. L’une des premières actions de Jair Bolsonaro a été le retrait des fauteuils rouges du palais présidentiel, remplacé par des sièges bleus, couleur jugée plus droitière. Dans la même logique, on commente les sorties de la ministre des Droits de l’homme, de la femme et de la famille, Damares Alves, annonçant que maintenant, « les garçons porteront du bleu, les filles du rose », ou encore la déclaration du ministre des Affaires étrangères affirmant : « nous ne sommes pas ici pour travailler pour l’ordre mondial. Ici, c’est le Brésil ». Certains commentateurs voient dans ces actes et paroles autant d’écrans de fumée caractéristiques des populistes accédant au pouvoir. Néanmoins, plus que des propos de tribuns, ces discours semblent montrer de réelles obsessions, pour le moins inquiétantes.

A la plupart des mesures prises par Jair Bolsonaro dans ses premiers jours de présidence correspond une transformation des structures ministérielles. L’armature du nouveau gouvernement annonce la mise en place de politiques anti-démocratiques, visant à criminaliser et à exclure du champ politique une partie de la population brésilienne.

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