La Cour suprême du Brésil va décider du sort des terres autochtones

 | Par APIB, Eloy Terena

Le jugement le plus important sur les terres autochtones est à l’ordre du jour du Suprême Tribunal Fédéral. Le 28 octobre, la Cour suprême analysera le recours extraordinaire n° 1.017365, de la Fondation nationale des Indiens (FUNAI), qui porte sur la propriété de la terre autochtone Ibirama Laklaño, du peuple Xokleng, située à Santa Catarina.

La Cour suprême devra se prononcer sur le statut juridique des terres autochtones. En effet, deux thèses juridiques seront analysées : a) la théorie de l’indigénat et b) la thèse du cadre temporel.

La théorie de l’indigénat consiste dans le fait que les peuples autochtones ont un droit sur les territoires qu’ils occupent traditionnellement, comme l’exprime l’article 231 de la Constitution brésilienne, qu’il ne peut y avoir aucune limitation à ce droit, et que le pouvoir public fédéral doit délimiter et protéger toutes les terres. Cette thèse remonte à la période coloniale, où les lois qui ont été éditées respectaient la propriété des peuples originels, en tant que maîtres naturels de leurs terres.

La thèse du cadre temporel restreint les droits des autochtones et est défendue par des propriétaires ruraux, représentés par le Front Agricole au Congrès national brésilien. Pour eux, les peuples autochtones n’ont droit qu’aux terres qu’ils occupaient le 5 octobre 1988, date de la promulgation de la Constitution fédérale. En plus de limiter les droits des communautés autochtones, cette thèse vise à amnistier les crimes commis contre les populations autochtones, en particulier ceux perpétrés pendant la période de la dictature militaire. Durant cette période, de nombreuses terres autochtones, considérées à l’origine comme des terres publiques, ont été envahies et « grilées ».

La Constitution fédérale a célébré son 32e anniversaire et pourtant, depuis, de nombreuses communautés autochtones attendent la délimitation de leurs terres. Le récent rapport sur la violence contre les peuples autochtones (2020), publié par le Conseil missionnaire autochtone (CIMI), a souligné sans équivoque que sur les 1 298 terres autochtones du Brésil, 829 (63 %) attendent de la part de l’État la finalisation de son processus de démarcation et d’enregistrement en tant que territoire autochtone traditionnel au Secrétariat du patrimoine de l’Union (SPU). Sur ces 829, un total de 536 terres (64%) n’ont pas encore reçu aucun traitement par l’Etat. En d’autres termes, l’actuel président de la république, en plus de remplir sa promesse de ne pas démarquer un pouce de terre autochtone, a agi par l’intermédiaire du ministère de la justice, dans lequel il a renvoyé 27 processus de démarcation à la FUNAI pour examen au cours du premier semestre 2019.

Pour comprendre l’affaire

En 2009, la Fondation pour l’environnement de l’État de Santa Catarina (FATMA) a intenté une action en restitution contre la FUNAI et le groupe autochtone Xokleng. La Fondation d’État a prétendu être un propriétaire légitime d’une zone de 80 006 m² (quatre-vingt mille six mètres carrés), située à Linha Esperança-Bonsucesso, district d’Itaió, État de Santa Catarina, sur laquelle la FATMA exerçait la possession en douceur, en paix et sans interruption pendant plus de sept ans, et que cette réserve aurait été envahie par les autochtones.

À l’époque, la FUNAI a contesté l’action, réfutant la thèse initiale et démontrant que la zone dont la FATMA prétend être le propriétaire est couverte par les effets de l’ordonnance n° 1182/2003 du ministère de la justice, qui a déclaré que les peuples autochtones Xokleng, Kaingang et Guarani de la terre autochtone Ibirama-La Klãnõ sont en propriété permanente, avec une superficie approximative de 37 108 ha (trente-sept mille cent huit hectares), situés dans les municipalités de Doutor Pedrinho, Itaiópolis, José Boiteux et Vitor Meireles, dans l’État de Santa Catarina.

Le procès a été accueilli en première instance et la décision a été confirmée par la Cour fédérale régionale (TRF-4). Après ce parcours, l’action est parvenue à la Cour suprême fédérale par le biais d’un recours déposé par la FUNAI. Le rapporteur, le ministre Edson Fachin, en admettant le recours, a souligné qu’il est nécessaire de fixer une thèse pour résoudre sur la « définition du statut juridico-constitutionnel des relations de propriété des zones d’occupation autochtone traditionnelle, en vertu de l’article 231 du texte constitutionnel ».

Le droit autochtone dans la Constitution de 1988

Le texte constitutionnel de 1988 est catégorique dans son article 231 : "Ce sont garantis aux Indiens leur organisation sociale, leurs coutumes, leurs langues, leurs croyances et leurs traditions, ainsi que les droits originaux sur les terres qu’ils occupent traditionnellement, et il incombe à l’Union de les délimiter, de les protéger et de veiller à ce que tous leurs biens soient respectés". Il ne fait donc aucun doute que la constitution a décidé pour la thèse de l’indigénat.

Les droits des peuples autochtones sur leurs territoires étaient déjà garantis par la Constitution avant 1988. Dans la Charte constitutionnelle de 1934, il a été reconnu que les peuples autochtones sont propriétaires des terres qu’ils occupent traditionnellement : "Art. 129. La propriété des terres occupées en permanence par des sylvicoles sera respectée, mais il leur est interdit de les aliéner".

Suite à l’ordre constitutionnel, la loi n° 6.001/73, également connue sous le nom de Statut de l’Indien, prévoyait dans son article 65 que « le pouvoir exécutif doit, dans un délai de cinq ans, délimiter les terres autochtones non encore délimitées ». Autrement dit, jusqu’à 1978, toutes les terres autochtones devraient être délimitées. La Constitution de 1988 est entrée en vigueur et a de nouveau imposé le même délai, prévoyant à l’article 67 de l’ADCT que "l’Union achèvera la délimitation des terres autochtones dans les cinq ans suivant la promulgation de la Constitution.

La théorie de l’indigénat a été développée par João Mendes Junior, à l’occasion d’une conférence donnée à l’ancienne Société d’ethnographie et de civilisation des Indiens en 1902, lorsqu’il a déclaré : "[...] déjà le philosophe grec affirmait que l’indigénat est un titre congénital, tandis que l’occupation est un titre acquis. Dans la mesure où l’indigénat n’est pas la seule véritable source juridique de possession territoriale, chacun reconnaît qu’il est, selon l’expression de l’Alv. du 1er avril 1680, ‘le premier, naturellement et virtuellement réservé’, ou, selon l’expression d’Aristote (Polit., I, n. 8), - ‘un état dans lequel chaque être se trouve dès sa naissance’. Il ne s’agit donc pas d’un fait dépendant de la légitimation, alors que l’occupation, en tant que fait ultérieur, dépend d’exigences qui la légitiment".

Le permis du 1er avril 1680, dont il est question dans le texte, en s’occupant des sesmarias, insiste sur les terres des Indiens, considérés comme "leurs premiers et naturels seigneurs". Cette règle reconnaît donc de façon explicite l’indigénat, comme un droit originaire, avant l’État lui-même, avant tout autre droit. Selon les termes du professeur José Afonso da Silva, "l’indigénat est la source primaire et congénitale de la possession territoriale ; c’est un droit congénital, tandis que l’occupation est un titre acquis. L’indigénat est légitime en soi, il n’est pas un fait dépendant de la légitimation, alors que l’occupation, en tant que fait postérieur, dépend d’exigences qui le légitiment".

En ce sens, la Constitution de 1988 a adopté la théorie de l’indigénat en reconnaissant le droit originel des peuples autochtones aux terres traditionnellement occupées.

Soutenez-nous

Suivez-nous

  • Twitter
  • Facebook
  • Instagram
  • RSS