Conflits dans les zones rurales au Brésil en 2023 Rapport de la Commission pastorale de la terre

 | Par CPT

La Commission pastorale de la terre (CPT) a publié la 38e édition du rapport Conflits dans les zones rurales au Brésil en 2023. Publié chaque année depuis près de quatre décennies par la CPT, le rapport constitue une source d’informations pour les chercheurs, les universités, les médias et les agences gouvernementales ou non gouvernementales. Cette publication est élaborée principalement à partir du travail des agents de la CPT, présents dans les équipes régionales qui travaillent auprès de communautés rurales de tout le Brésil. Ce travail est complété par le travail de vérification réalisé au jour le jour sur les cas dénoncés, ainsi que les sur les informations et documents collectés, travail mené par l’équipe de documentalistes du Centre de documentation Dom Tomás Balduíno (Cedoc).

Vous trouverez ci-dessous le résumé exécutif traduit en français par l’équipe d’Autres Brésils.

Le 22 avril, la Commission pastorale de la terre (CPT) a publié la 38e édition de Conflits dans les zones rurales au Brésil. Ce rapport présente les données de la violence liée aux questions agraires dans le pays pour l’année 2023. C’est au cours de la première année du troisième mandat du président Lula que les chiffres les plus élevés depuis le début des enquêtes, en 1985, ont été enregistrés : au total, 2 203 conflits ont été recensés, contre 2 050 l’année précédente et 2 130 en 2020, année qui détenait le record jusqu’alors.

La plupart des conflits enregistrés sont liés à la terre (1 724, ce nombre est aussi le plus élevé enregistré par la CPT) suivis par les cas liés au travail esclave en milieu rural (251) et les conflits liés à l’eau (225). Parmi les États, le nombre le plus élevé (249) a été enregistré à Bahia, suivi par le Pará (227), Maranhão (206), Rondônia (186) et Goiás (167). En ce qui concerne les régions, c’est le Nord qui a connu le plus grand nombre de conflits (810), suivi par le Nord-Est (665), le Centre-Ouest (353), le Sud-Est (207) et enfin le Sud (168).

Au total, 950 847 personnes ont été impliquées dans ces conflits, se disputant 59 442 784 hectares de terre sur l’ensemble du territoire brésilien. Le nombre de personnes impliquées est supérieur de 2,8% aux 923 556 personnes impliquées dans des conflits en zones rurales en 2022. Cependant, les superficies disputées sont inférieures de 26,8 % avec 81 243 217 hectares en cause au cours de la même période.

Conflits liés à la terre

Sur les 1 724 occurrences enregistrées dans cette catégorie, 1.588 concernent des violences contre l’occupation et la possession et/ou contre la personne. Dans le premier type de violence, on observe une augmentation des cas d’invasion, avec 359 cas enregistrés en 2023, affectant 74 858 familles, contre 349 cas en 2022. Le nombre d’expulsions a également augmenté (37 incidents et 2 163 familles en 2023, contre 23 incidents et 596 familles en 2022). Ainsi 2023 est, derrière 2016, au 2° rang des années pour ce qui est des familles expulsées de leurs territoires. Les menaces d’expulsion par voie judiciaire (qui passent de 138 à 183) et les expulsions judiciaires réalisées (de 17 à 50) ont également augmenté de façon considérable.

En 2023, le « pistolagem », qui est l’action menée par les tueurs à gage, a été le deuxième type de violence contre l’occupation ou la possession de la terre (264 cas), soit une augmentation de 45 % par rapport à 2022 et le plus grand nombre de faits de ce type de violence contre les familles, avec un total de 36 200 familles touchées, recensées par la CPT. Les paysans sans-terres ont été les principales cibles de ces actions, avec 130 cas recensés, suivis par les ‘occupants’ (‘posseiros’) (49), les autochtones (47) et les quilombolas (19). La destruction de biens (101), de maisons (73) et de terres cultivés (66) font aussi partie du lot d’actions violentes menées contre la permanence des populations sur leurs territoires.

Travail esclave en milieu rural

En 2023, 251 cas de travailleurs, hommes et femmes, en situation d’esclavage dans les zones rurales ont été enregistrés et 2 663 personnes ont pu être délivrées de cette condition ce qui représente les taux les plus élevés depuis 10 ans. Les Etats de Goiás (699), Minas Gerais (472), Rio Grande do Sul (323), et São Paulo, avec 243 personnes délivrées du travail esclave, ont été les plus touchés. Les activités qui, en 2023, ont compté le plus grand nombre de travailleurs ‘esclaves’ sont la plantation de la canne à sucre, avec 618 travailleurs ; les cultures à caractère permanent, avec 598 ; les cultures temporaires, avec 477 ; les autres activités rurales, avec 273. Ces chiffres pourraient être encore plus élevés, en particulier dans les régions Nord et Nord-Est, s’il y existait une politique plus structurée d’inspection et de lutte contre le travail esclave.

Conflits liés à l’eau

Dans ce domaine, le nombre de cas est resté stable entre les 2 dernières années (225 en 2023 ; 228 en 2022), mais ces données demeurent élevées par rapport au début de la dernière décennie. Parmi les cas recensés le non-respect des procédures légales par le gouvernement et les entreprises privées (78 cas) arrive en tête ; viennent ensuite la destruction et/ou la pollution (56), la réduction et l’entrave à l’accès à l’eau (48) et la contamination par les pesticides (26). Les propriétaires terriens, les gouvernements des États, les entreprises, les barrages hydroélectriques et les sociétés minières continuent d’être les principaux responsables de ces conflits, dont les premières victimes se trouvent parmi les populations autochtones (24,4 %), les pêcheurs (21,8 %), les riverains (13,3 %), les quilombolas (12,4 %) et les paysans installés sur les terres de la réforme agraire (8,4 %).

Violence contre la personne –554 occurrences et 1 467 personnes touchées ont été recensées, parmi lesquelles 31 assassinats, soit une diminution de près de 34 % par rapport à l’année précédente, où 47 personnes avaient été tuées dans les zones rurales. La plus forte proportion de victimes a été enregistrée dans l’État de Rondônia (avec 5 décès), suivi de l’Amazonas, de la Bahia, du Maranhão et du Roraima, avec chacun 4 victimes. Au total 14 Autochtones et 9 Sans-terres ont été tués : ce sont ces populations qui souffrent le plus de ce type de violence extrême ; viennent ensuite les posseiros (4) et les quilombolas (3). Au cours des dix dernières années, sur un total de 420 personnes assassinées dans la lutte pour la terre, les travailleurs sans terre ont été parmi les victimes les plus nombreuses (151), suivis par les autochtones (90). Parmi ces victimes mortelles de la violence rurale, 7 étaient des femmes. Le type de violence qui a fait le plus de victimes (336) est la contamination par les pesticides ; suivie par les menaces de mort (218), l’intimidation (194), la criminalisation (160), la détention (135), les agressions (115), l’emprisonnement (90) et la mise en captivité (72), autant de formes de violence qui ont augmenté depuis 2022.

Principaux responsables de la violence

Les principaux auteurs de la violence dans les conflits de terre sont les propriétaires terriens : responsables de 31,2 % de la violence causée, suivis par les entreprises (19,7 %), le gouvernement fédéral (11,2 %), les accapareurs de terres (9 %) et les gouvernements des États (8,3 %). Dans le cas du gouvernement fédéral, en dépit d’une légère diminution de la violence totale provoquée et d’une plus grande ouverture au dialogue avec les mouvements sociaux – marquée par la restructuration de ministères tels que le Développement Agraire, les Droits humains ou la Justice, et par la création du ministère des Peuples Autochtones, on n’a pas observé de réel progrès dans la conquête des droits des populations paysannes et traditionnelles, spécialement dans le domaine de la réforme agraire et de la démarcation des territoires autochtones.

Par ailleurs, on note que les gouvernements des États ont exercé une intense répression policière dirigée contre les campements et les assentamentos, les communautés quilombolas et les terres autochtones, en particulier dans les Etats de Goiás, Bahia, Mato Grosso do Sul, Tocantins, Maranhão et Rondônia. Il en va de même pour ce qui est de l’action législative menée tant au niveau des Etats que de la Fédération : la progression de la représentation des ‘ruralistes’ se traduit par des modifications de législation telles que le « seuil temporel » (pour limiter la possibilité de légalisation de territoires autochtones), de législation foncière, de légalisation de pesticides, ou encore d’autorisation d’épandage aérien de ces pesticides dans les Etats.

Amazonie légale

Dans cette région, qui représente près de 60 % du territoire brésilien, la déforestation a reculé, avec une intensification des actions d’inspection de la police fédérale pour combattre l’exploitation minière illégale. La violence s’est par contre accrue dans des régions telles que la triple frontière des États d’Amazonas, d’Acre et de Rondônia (désignée par le sigle AMACRO ou par le nom de « zone de développement durable d’Abunã-Madère »). Sur les 31 meurtres commis dans le pays , 8 ont eu lieu dans cette région ; 5 d’entre eux ont été causés par des accapareurs de terres. Présentée comme un « modèle » de développement axé sur la socio-biodiversité, cette région est devenue l’épicentre de l’accaparement de terres destinées à l’exploitation forestière et à l’élevage de bétail, et présente des taux élevés de déforestation, d’incendies et de conflits.

Actions de résistance

Également recensées dans ce rapport sur les Conflits dans les zones rurales, les actions de résistance ont aussi connu une augmentation significative en 2023, puisqu’on a compté 119 nouvelles occupations et reprises de terres ; 22 d’entre elles menées par des peuples autochtones, 3 reprises de terre par les quilombolas ; 94 autres actions par d’autres identités sociales. Il y a eu également 17 campements conduits par des sans-terre et/ou des posseiros, davantage que le chiffre enregistré en 2022 (5). Ces actions de résistance ont repris leur progression à partir de 2021, mais restent inférieurs à celles de la série décennale.

Voir en ligne : Conflitos no Campo Brasil 2023

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