Mardi 10 octobre, la Commission pastorale de la terre (CPT) a publié les données relatives aux conflits dans les zones rurales pour le premier semestre 2023, collectées, organisées et enregistrées par le Centre de documentation Dom Tomás Balduíno (Cedoc). Le texte contenant les chiffres collectés est publié sur le site web cptnacional.org.br.
Cette date marque le 53ème anniversaire de la conclusion de la lettre pastorale « Une Église d’Amazonie en conflit avec les latifundia et la marginalisation sociale » écrite par Dom Pedro Casaldáliga, l’un des fondateurs de l’institution, lorsqu’il a dénoncé la violence commise contre les travailleurs ruraux soumis à des conditions d’esclavage dans les années 1970. Plus d’un demi-siècle plus tard, la violence en Amazonie et le travail esclave continuent d’être des enjeux majeurs dans les conflits.
Au total, ce sont 973 conflits qui ont été enregistrés dans les zones rurales, ce qui représente une augmentation de 8 % par rapport à la même période en 2022, où 900 conflits avaient été enregistrés. Cela place le premier semestre 2023 en deuxième position des 10 dernières années, dépassé seulement en 2020, année qui avait enregistré 1007 conflits.
La grande majorité d’entre eux continuent d’être des conflits fonciers (714), suivis par les conflits liés au travail esclave en milieu rural (102), les conflits liés à l’eau (80), l’occupation et la reprise de possession (71) et les campements (6). Près de 527 mille personnes ont été touchées, ce qui représente une légère baisse de 2 % par rapport à l’année dernière, tout en maintenant des chiffres élevés. Le nombre de familles concernées est également légèrement inférieur (101 984), ce qui peut s’expliquer par la légère diminution des conflits sur les terres autochtones, étant donné que la constitution des familles implique un plus grand nombre de membres.
Conflits fonciers
Dans la lutte pour rester sur leur territoire ou à la recherche de territoires pour la reproduction de la vie, les populations de la campagne, des eaux et des forêts ont connu différents types de conflits. Au cours de la période, 878 familles ont subi la destruction de leur maison, 1524 de leur champs et 2909 de leurs biens. Les cas d’expulsion (554), d’expulsion judiciaire (1091) et d’entraves à l’accès aux espaces collectifs, tels que les plantations, les zones d’extraction de l’huile de babassu et autres, se sont également multipliés. En ce qui concerne les violences contre l’occupation et la possession, les crimes des tueurs à gages, des accapareurs de terres et des envahisseurs sont également à la hausse.
Travail esclave
La période a été marquée par une augmentation du nombre de cas enregistrés de travail esclave en milieu rural (102) et de personnes libérées de cette condition (1408) au cours des six premiers mois du mandat du président Luiz Inácio Lula da Silva. Ce nombre de libérations est déjà le plus élevé des dix dernières années et continue d’augmenter, ce qui démontre la plus grande visibilité de cette violence grâce à l’action des instances de contrôle.
Les activités économiques qui ont vu le plus de personnes libérées sont la canne à sucre (532) et les cultures permanentes (331), les secteurs de l’agronégoce ainsi que l’exploitation minière (104), la déforestation (63), la production de charbon de bois (51) et l’élevage (46).
"J’ai un rêve immense, celui de changer ma vie, de ne plus partir travailler pour les autres. Ceux d’entre nous qui ont été libérés du travail esclave, si nous avions un soutien ou un projet pour pouvoir travailler ici et ne plus avoir à partir, ce serait super. Parce qu’ici, on cherche du travail et on n’en trouve pas, alors on doit partir ailleurs, à la recherche d’un emploi pour travailler, n’est-ce pas ? "
Témoignage d’un travailleur libéré du travail esclave dans l’État de Maranhão
Conflits liés à l’eau
Le Centre de documentation Dom Tomás Balduíno a enregistré une baisse du nombre de conflits liés à l’eau (de 130 à 80) au cours du premier semestre 2023, ainsi que du nombre de familles concernées (de 31108 à 29316). Cependant, la diminution des déclarations de conflits n’occulte pas les dommages causés par les activités qui affectent directement les populations qui dépendent de l’eau pour leur survie, les peuples autochtones étant les plus touchés (32,5 %), suivis par les quilombolas (23,75 %), les pêcheurs (15 %), les posseiros [1] (6,25 %) et les habitants des rives (6,25 %).
Les cas de contamination par les pesticides dans les conflits liés à l’eau sont passés de 8 en 2022 à 14 en 2023. Le nombre de familles a également augmenté, passant de 609 l’année dernière à 1490 cette année.
Violence contre les personnes
Dans ce type d’approche, le nombre de victimes a augmenté de manière significative, passant de 418 au premier semestre 2022 à 779 à la même période en 2023. Les dommages causés par la contamination par les pesticides arrivent en tête de ce type de violence (327), tout comme la contamination par des minéraux (55). L’augmentation des cas de criminalisation (45) et d’emprisonnement de personnes impliquées dans la lutte pour les droits en milieu rural (42), même si les emprisonnements effectifs ont diminué (de 74 à 29) constitue un autre fait marquant.
Femmes victimes
Les violences faites aux femmes en milieu rural ont augmenté, passant de 94 en 2022 à 107 en 2023, chiffre en hausse depuis 2021. Le fait marquant a été le viol de 30 adolescentes yanomami par des orpailleurs illégaux en février. Il faut toutefois noter que les femmes sont également victimes d’intimidations (20), de menaces de mort (16), d’agressions (6), de criminalisation (5), d’emprisonnement privé (5), entre autres, sachant qu’une même personne peut être victime de plus d’une forme de violence.
Morts violentes
Au cours du premier semestre 2023, la CPT a également enregistré un nombre de meurtres inférieur à celui de l’année précédente : 14, contre 29 en 2022, soit une baisse de 51,72 % du nombre de personnes ayant perdu la vie d’une manière extrêmement violente. À la date de publication de ce texte, le nombre de personnes assassinées dans le cadre de conflits en milieu rural s’élève à 18. Près de 80 % des cas se sont produits en Amazonie légale (11), ce qui fait de cette région la plus vulnérable à la violence décimant la vie des habitants des campagnes brésiliennes, dont près de la moitié est liée à la contamination par les pesticides. Les peuples autochtones restent les plus touchés par cette violence mortelle (6), suivis par les travailleurs sans terre (5), les posseiros (1), les quilombolas (1) et les fonctionnaires (1).
Les menaces de mort ont également diminué (78 à 56) ainsi que les tentatives de meurtre (49 à 30). Malgré ces réductions, les cas de décès corrélatifs (59) et d’agressions (54) ont augmenté.
Qui a causé le plus de violences
Lorsqu’il s’agit d’analyser qui est responsable de la plus grande violence en milieu rural, les propriétaires terriens (19,75 %) se classent juste au-dessus du gouvernement fédéral (19,33 %), suivis par le secteur des affaires (16,95 %), les gouvernements des États fédérés (13,31 %) et les accapareurs de terres (8,54 %).
Malgré la création de ministères tels que celui des Peuples autochtones, de l’Égalité raciale, le rétablissement du ministère du Développement agraire et d’autres mesures prises par le gouvernement Lula, la force politique de l’agronégoce empêche la mise en place de politiques publiques plus efficaces pour les populations rurales.
Outre l’agronégoce, qui génère des niveaux élevés de contamination par les pesticides, les exploitations minières, les centrales hydroélectriques et les énergies renouvelables, telles que l’énergie éolienne, ont été identifiées comme des facteurs de conflits qui empêchent, dans l’ensemble du pays, les communautés traditionnelles de bien vivre .
Qui a subi le plus de violences
Les peuples autochtones et leurs communautés sont les plus touchés avec 38,2 % des cas, suivis par les travailleurs ruraux sans terre (19,2 %), les posseiros (14,1 %) et les quilombolas (12,2 %).
Omission et complicité
La violence des autorités publiques est également présente, principalement en raison de l’incapacité à garantir les droits énoncés dans la Convention 169 de l’Organisation internationale du travail (OIT), qui traite de la consultation libre, préalable et informée des peuples autochtones et des communautés traditionnelles concernant les projets publics ou privés susceptibles de les affecter directement. L’omission et la complicité du gouvernement fédéral se manifestent également par le fait que les territoires des peuples autochtones et traditionnels ne sont pas démarqués, ce qui les empêche de rester dans ces lieux. En outre, les gouvernements des États fédérés ont intensifié leur persécution des mouvements organisés de lutte pour la terre dans certains États brésiliens, en utilisant l’appareil policier.
"Souvent, les entreprises veulent imposer certaines de ces concessions sans écouter les communautés, raison pour laquelle les peuples ont renforcé le fait que ce sont eux qui gèrent leurs territoires et qu’ils agiront pour mettre un terme à ces vagues de violence"
Francisco Alan Santos, agent de la CPT/PARA
Méthodologie
Les données du premier semestre de cette année constituent un outil d’évaluation des tendances éventuelles des conflits dans les campagnes pour l’année en cours, et contribueront aux analyses du rapport annuel Conflits en milieu rural au Brésil, dont la publication est prévue en avril 2024. Les enquêtes sont basées sur deux types d’informations : les sources collectées par les agents de la CPT dans tout le Brésil et les sources collectées par le biais de coupures de presse en général, ainsi que les communiqués des organismes publics, des mouvements sociaux et des organisations partenaires de la CPT tout au long de l’année.