La mobilisation organisée du Mouvement Noir Brésilien a eu un résultat victorieux lundi dernier, le 18 octobre 2021, avec la nouvelle du veto de la Commission du Sénat des États-Unis sur l’utilisation de fonds gouvernementaux pour déplacer environ 800 familles quilombolas du territoire d’Alcantara, dans le Maranhão (Nord-est du pays). L’État brésilien recevrait jusqu’à 10 milliards de R$ par an de la part des États-Unis afin que le territoire ne soit accessible qu’aux Nord-Américains pour des essais aérospatiaux.
Le veto fait maintenant partie du budget du département d’État pour l’exercice 2022, qui comprend des fonds pour les actions américaines à l’étranger. "La Commission est préoccupée par les informations selon lesquelles le gouvernement brésilien prévoit de forcer le déplacement de centaines de familles de Quilombola pour agrandir le centre de lancement d’Alcantara. Aucune des ressources prévues par cette loi ou les lois précédentes ne peut être mise à la disposition des forces de sécurité brésiliennes qui s’engagent dans la réinstallation forcée de communautés indigènes ou quilombos", indique la commission dans le document.
Comprendre l’affaire #AlcantaraÉQuilombola
En août 2019, le député fédéral Eduardo Bolsonaro a approuvé, avec un régime d’urgence, dans la Commission des relations extérieures et de la défense nationale de la Chambre des représentants à Brasilia, le nouvel accord qui a livré la base aérospatiale d’Alcantara-MA au gouvernement des États-Unis.
L’accord dit de sauvegarde technologique avait déjà été signé par Donald Trump et Jair Bolsonaro en mars 2019, et déterminait que le gouvernement brésilien autoriserait la défense américaine à utiliser la base d’Alcântara pour les lancements de fusées et de satellites.
La mesure d’Eduardo Bolsonaro devait sauter toutes les commissions de la Chambre et être approuvée directement par la plénière, excluant ainsi la population de la participation à un débat public sur la question.
Le centre de lancement d’Alcantara, construit en 1983, a été convoité pendant de nombreuses années par la base militaire américaine en raison de son emplacement stratégique près de l’équateur. Construit au milieu de la dictature militaire, il est devenu célèbre dans le monde entier grâce à sa propagande en tant que point de départ permettant de réduire jusqu’à 30% le carburant nécessaire à un vol spatial. Cependant, bien avant cela, la région était déjà d’origine quilombola et remettre l’emplacement de la base au gouvernement américain reviendrait à expulser plus de deux mille personnes de leurs territoires ancestraux, sans aucune consultation préalable ni politique de réparation.
La ville d’Alcantara se trouve dans la région métropolitaine de São Luís, capitale du Maranhão. Elle a été fondée en 1648 et compte actuellement environ 21 000 habitants, dont environ 70 % se déclarent quilombolas.
En outre, selon le positionnement de la Coordination nationale d’articulation des communautés rurales noires quilombolas (CONAQ), en 2019, la remise de la base d’Alcantara serait également un coup sérieux porté à la souveraineté brésilienne. "Cela nous met gravement en danger pour la sécurité nationale, car nous savons que les États-Unis veulent utiliser militairement Alcantara à leurs fins politiques. Avec ce nouvel accord, le Brésil sera la cible de conflits militaires internationaux."
Le mouvement noir brésilien mobilise ses forces et encourage un tournant dans les négociations avec le gouvernement américain sur la remise de la base d’Alcantara
Après le mouvement bolonariste au Congrès pour accélérer l’approbation de l’accord, le mouvement noir a alors mobilisé des forces au Brésil et aussi aux États-Unis pour stopper cette négociation. La Coalition noire pour les droits, représentée par Sara Branco, du Centre d’étude des relations de travail et de l’inégalité, Juliana Góes, militante des droits de l’homme, et Douglas Belchior, d’Uneafro Brésil, a participé au congrès du Black Caucus à Washington, dans la capitale américaine, pour demander le soutien des congressistes du pays face aux attaques subies par la population noire du Brésil, promues par le gouvernement Bolsonaro. La rencontre a eu lieu en septembre 2019, réunissant des politiciens et des leaderships noirs de tout le pays.
A cette occasion, le député démocrate Hank Johnson a reçu la délégation de la Coalition noire et a montré son soutien à la cause. Regardez les vidéos de Johnson exigeant une consultation publique des communautés quilombos sur le transfert de la base d’Alcantara et dénonçant les négociations des gouvernements Trump et Bolsonaro pour supprimer les droits de ces familles en échange d’accords commerciaux.
Une autre dénonciation de l’affaire en dehors des frontières du pays a été enregistrée par la participation de la Coalition noire à la 42e session du Conseil des droits de l’homme des Nations unies. La remise de la base d’Alcantara a été abordée comme faisant partie du projet d’effacement et de génocide de la population noire qui est en cours au Brésil et qui s’est aggravé depuis l’arrivée du gouvernement actuel.
Au Brésil, les parlementaires Talíria Petrone (PSOL-RJ) et Áurea Carolina (PSOL-MG) ont lancé, à l’époque, la plateforme "Quilombola Consultation Now", dans le but de faire pression sur le Congrès pour que le peuple quilombola d’Alcântara soit consulté sur tout ce qui impliquerait la remise de la base, et par conséquent de leurs territoires, à la domination nord-américaine.
La Chambre des populations indigènes et des communautés traditionnelles du ministère public fédéral a également publié une note technique renforçant l’urgence d’ouvrir le dialogue avec les communautés quilombos de la région au sujet de l’accord, comme le prévoient les termes de la Convention 169 de l’Organisation internationale du travail.
La pression populaire et celle d’autres sphères de représentation, stimulées par le mouvement noir, ont eu un effet et le président de la Chambre de l’époque, Rodrigo Maia, a reçu des représentants de la CONAQ pour réaffirmer l’engagement du Congrès en faveur de la consultation publique, du non-déplacement des quilombolas de leurs terres ancestrales et de la démarcation des terres. Cependant, en octobre 2019, Maia ne fait que reprogrammer le vote sur l’accord passé par le Congrès. Le décret promulguant le traité a été signé par Bolsonaro en février 2020.
Après avoir entendu les demandes de la délégation de la Coalition noire au Black Caucus, Hank Johnson, les membres du Congrès de l’époque, Deb Haaland et Joaquin Castro, et le sénateur Bernie Sanders ont envoyé une lettre au Congrès américain pour demander la protection des communautés quilombos contre les déplacements forcés et les attaques racistes.
Dans le texte, les parlementaires demandent qu’une interdiction de tout type de coopération ayant pour conséquence l’expulsion de ces peuples de leurs terres soit incluse dans la proposition de budget de la Défense des États-Unis pour 2021.
Le document spécifiant le veto est inclus dans la proposition de budget pour l’année fiscale 2022 et doit encore être approuvé par la plénière des États-Unis, mais il montre déjà de la force et une forte chance de passabilité.
Pour Douglas Belchior, c’est une preuve de plus de la force politique et de défense des droits du mouvement noir :
« Nous avons toujours fait des articulations internationales et des incidences politiques. Les leaders des mouvements noirs brésiliens sont en relation avec des groupes aux États-Unis, sur le continent africain, en Amérique centrale et latine dans la lutte diasporique contre le racisme et le génocide. Nous donnons une continuité à un processus que nos aînés ont lancé. Cette articulation avec les mouvements noirs et le parlement nord-américain s’inscrit dans le contexte de la construction diasporique d’une résistance noire qui affronte le racisme sur toute la planète et le génocide qui touche les noirs dans les pays à héritage colonial. »