Politique, police et pandémie : la réalité régionale de l’État de Pernambuco

L’histoire des luttes pour des conditions de vie dignes ou même pour la survie dans les pays en dehors de l’axe EUA-Europe est séculaire. Au fil du temps, les formes de confrontation des mouvements populaires les plus divers acquièrent des contours différents : à certains moments, ils doivent se concentrer sur des replis défensifs, à d’autres sur l’organisation d’une confrontation incisive. Face à une attaque aussi sévère que la montée de l’extrême droite partout au Brésil, la résistance pour assurer la survie s’est manifestée comme quelque chose d’indispensable.

Néanmoins, les effets de cette contre-révolution sur les différentes formes d’organisation des populations noires, surtout après la fin formelle de l’esclavage en 1899, ont provoqué la désintégration, l’effacement et la non-identification d’une identité noire susceptible de provoquer un autre consensus sur l’oppression raciale dans le pays.

Ainsi, situer les stratégies de confrontation adoptées par les mouvements noirs face aux consensus forcés et aux coercitions conjoncturelles imposées par l’État brésilien au cours des quatre dernières années peut être possible à travers trois grandes déterminations qui opèrent comme des instruments de la contre-révolution : la politique, la policière et la pandémique.

Le Collectif Noir Minervino de Olivera est un collectif partisan du Parti Communiste Brésilien - PCB. Le présent texte a été élaboré par des militants du Collectif de l’Etat de Pernambuco.

L’évanescence du pacte conciliateur : ou l’échec de la construction de la démocratie bourgeoise dans le contexte d’un pays périphérique.

Le 28 octobre 2018, Jair Messias Bolsonaro est élu président de la République fédérative du Brésil, avec 57 797 847 voix. Avec le soutien de membres des Forces armées depuis 2014 ainsi que d’une grande partie des milieux d’affaires et de la presse, associé à une pratique de lawfare [1] et de l’aide d’un réseau de diffusion de fake news via les réseaux sociaux, cet ancien député fédéral de l’Etat de Rio de Janeiro est devenu président de la République avec pour mission d’approfondir les réformes néolibérales intensifiées depuis 2016.

Ce qui n’avait pas été convenu dans le dénouement de cette intrigue, c’est qu’une pandémie exacerberait le processus de mise à mort des populations noires et périphériques au Brésil. Les quatre années du mandat de Bolsonaro en tant que président du Brésil ont représenté une augmentation significative du taux de mortalité des personnes noires dans le pays.

Entre 2016 et 2020, le nombre de décès évitables de personnes blanches âgées de 5 à 75 ans au Brésil a augmenté de 14%, en comparaison, les mêmes données pour les personnes noires ont augmenté de 25% (BRÉSIL, 2022).

Cependant, ne nous trompons pas :

  • premièrement, l’absence de droits sociaux alliée à la politique répressive de l’État extermine la population noire et autochtone du pays depuis longtemps, même sous des gouvernements soi-disant progressistes, cette réalité n’a pas été atténuée ;
  • deuxièmement, la stratégie de contrôle de la pandémie adoptée par le gouvernement brésilien, loin d’être qualifiée de négligente, a toujours visé la mort de personnes qui n’auraient pas accès à l’isolement social, au diagnostic et au traitement de la maladie, ce qui, dans le cas du Brésil, seraient des personnes non blanches - les données sur les décès par COVID-19 nous le prouvent.

Cette brève mise en contexte est nécessaire pour comprendre que 13 années de gouvernements du Parti des Travailleurs n’ont pas réussi à laisser un héritage structurel de politiques publiques visant à défendre les droits des populations historiquement violés par l’État brésilien. La tentative du PT de mener une politique conciliante qui plaisait à la fois aux travailleurs et à la bourgeoisie [2] a abouti à l’un des principaux éléments de la contre-révolution désormais bien établie contre les programmes des mouvements sociaux au Brésil.

Ce qui a été perçu, c’est que les politiques sociales mises en œuvre durant ces années ont provoqué un soulagement immédiat nécessaire sur les terribles conditions d’alimentation, d’éducation et de logement des personnes noires. Cependant, en plus de son caractère éphémère, à la fin de cette période, les données de l’IPEA (2019) prouvent que les inégalités de revenus entre les différentes couches de la population se sont maintenues.

La réalité régionale de l’État de Pernambouc

En octobre 2018, dès le premier tour, le gouverneur Paulo Henrique Saraiva Câmara du Parti socialiste brésilien (PSB) est ré-élu pour un second mandat, de manière surprenante. Avec la victoire garantie dans l’État du Pernambuco, le PSB - qui avait déjà influencé de manière décisive les votes pour le coup d’État parlementaire judiciaire contre la présidente Dilma Rousseff (PT) en 2016 - abandonne la campagne pour la présidence nationale et laisse à ses partisans et électeurs le choix de soutenir ou non le PT et, surtout, de faire campagne contre Jair Bolsonaro au second tour.

Au cours du second mandat du gouverneur Paulo Câmara, les relations avec le gouvernement milicien de Jair Bolsonaro dans l’État ont toujours été floues : en effet, les politiques de sécurité publique, d’éducation, de santé et d’assistance sociale adoptées dans l’État étaient peu différentes de celles qui étaient menées au niveau national, surtout dans la période précédant la pandémie de COVID-19. Ainsi, Pernambuco est devenu l’État qui a enregistré le taux de chômage le plus élevé du pays en 2021, et l’un des États où la pauvreté et la faim ont le plus augmenté.

Il est important de souligner que le Pernambuco est un État du nord-est du Brésil, qui compte 9 millions d’habitants et dont la division socio-économique reproduit la réalité de l’ensemble du pays, ainsi que les particularités historiques de ségrégation d’un lieu qui a été dirigé pendant des siècles par quelques groupes de familles, dont certaines héritières de l’exploitation de l’esclavage et/ou des usines de canne à sucre.

Pour en revenir au contexte national, bien qu’il existe des singularités dans la réalité étendue et diverse d’un pays continental, nous avons connu au cours des quatre dernières années ce que l’on appelle conventionnellement au Brésil un « gouvernement à la dérive » qui, en vérité, a organisé le démantèlement des acquis et des droits sociaux des mouvements sociaux.

Les propositions de la présidence de la République peuvent se résumer à des propositions grotesques émanant des ministères les plus divers : Exclusion de l’illégalité dans les cas de meurtres perpétrés par la police, du ministère de la Justice ; liquidation des soins de santé primaires par le biais du programme Previne Brasil, du ministère de la Santé ; nouveau programme pour l’enseignement secondaire, du ministère de l’Éducation ; exploitation minière illégale, du ministère de l’Environnement ; démembrement et vente de nombreuses entreprises publiques, parmi lesquelles celles liées à la souveraineté énergétique du pays, PETROBRAS et ELETROBRAS, du ministère de l’Économie.

Dans une période comme celle-ci, il n’y avait pas d’espace au sein des institutions pour la proposition de politiques publiques, puisque la gestion de l’État brésilien était occupée à rabaisser les conditions de vie des travailleurs, ce qui, par conséquent, approfondissait l’exploitation des travailleurs noirs. Nous percevons ici une limitation conjoncturelle imposée : depuis la « redémocratisation du pays », la partie hégémonique des mouvements noirs avait adopté une stratégie d’institutionalisation des revendications historiques [3]. Cependant, à ce moment-là, cette partie hégémonique s’est immobilisée devant la résurgence du fondamentalisme religieux, la destitution du secrétariat spécial pour la Promotion des Politiques d’Égalité Sociale - SEPPIR - et l’occupation d’un des principaux organes de l’État, fruit de la lutte des Mouvements Noirs - la Fondation Palmares - par quelqu’un qui a donné la priorité à la conduite de l’institution dans un processus si délétère que cela a même inclus la destruction de sa collection bibliographique.

Comme nous le verrons plus loin, dans ces années de gouvernement Bolsonaro, le masque démocratique du caractère institutionnel de l’État perd de son utilité, la répression policière et les milices deviennent des armes fondamentales de contrôle. Si on ajoute à cela la longue période de la pandémie, le résultat est une conjoncture de grande impasse pour les organisations populaires dans la viabilité de l’occupation des rues.

L’État, la police et la mise en œuvre du génocide en quatre ans

L’élection de l’exécutif fédéral en 2018 a contribué à la montée en puissance de gouvernements régionaux à la logique aussi belliciste et racialisée que celle du président élu. Cette période, ainsi que la pandémie, ont intensifié la répression de l’Etat, nécessaire à la conduite du cadre politique de démantèlement de l’appareil social déjà mentionné ci-dessus. La face la plus coercitive de la contre-révolution déjà mentionnée sévit principalement dans les quartiers périphériques, où les conditions de logement sont plus précaires et où habite la population noire. Elle se révèle être un outil de plus contre l’organisation des mouvements noirs.

Dès les premiers jours d’entrée en fonction des gouvernements des États en 2019, le nombre d’opérations policières létales a augmenté. Parmi un grand nombre de cas, il convient de souligner la participation personnelle du gouverneur de l’État de Rio de Janeiro à l’une des opérations. Le gouverneur Wilson Witzel, du Parti Social-Chrétien, a conclu la mise en scène célébrant, à la descente de l’hélicoptère d’intervention, la mort des citoyens qui l’avaient élu pour les protéger.

Paradoxalement, c’est dans les moments les plus critiques de la pandémie que cette caractéristique coercitive de l’organisation sociale brésilienne s’intensifie. Son avant-garde est l’instrument répressif le plus puissant de cet appareil : héritière de la dictature militaro-affairiste, les polices militaires sont les corps officiels de l’État brésilien, formés et spécialisés pour utiliser efficacement la létalité dans leurs opérations.

Les actions de la Police Militaire dans les régions les plus diverses du Brésil fonctionnent dans le contrôle et l’extermination d’une masse de travailleurs qui, depuis le début de la République et l’abolition formelle de l’esclavage, ne font pas partie de la dynamique légale d’achat et de vente de la force de travail : il y a des millions de personnes qui travaillent sans congés, sans 13ème salaire, sans retraite, sans congé maladie, etc. Des millions de personnes qui s’entassent dans les quartiers pauvres, des millions de personnes qui sont livrées à leur sort pour garantir leur survie, des millions de personnes qui doivent fuir les opérations de police qui les identifient facilement où qu’elles se trouvent, compte tenu de la couleur de leur peau.

Cette masse d’informels exige un contrôle ostensible et permanent, qui empêche toute possibilité d’organisation et de révolte. Ces forces de police, subordonnées aux gouvernements des États (régionaux), au moment où elles devaient contribuer au transfert des patients, des fournitures, des médicaments, etc., pénétraient ou survolaient les quartiers noirs avec l’intention de tuer.

Le tableau était si terrifiant que le 5 juin 2020, la Cour suprême du pays a dû intervenir par le biais d’une injonction interdisant les actions de la police dans les quartiers noirs pendant la pandémie COVID-19, sauf dans des circonstances exceptionnelles accompagnées par le Ministère public.

Toutefois, cette mesure n’a pas empêché la poursuite des massacres dans des États comme Rio de Janeiro, dont le plus important de l’histoire : la police a tué plus de 40 personnes en une seule opération dans la communauté de Jacarezinho. Globalement, au Brésil, en 2020, on recense un total de 6 412 décès résultant d’opérations de police - un record dans la série historique du pays au cours de la première année de la pandémie . En 2021, il y en a eu 6 145. Si la létalité a diminué, ce n’est pas le cas de la spécificité : si le taux de mortalité lié aux opérations de police chez les personnes blanches a chuté de 31%, le même taux chez les personnes noires a augmenté de 6%.

Confrontés au dilemme entre mourir de l’action de la police ou être contaminés par le virus, au mois de juin 2020 déjà, les mouvements noirs sont devenus l’avant-garde du retour des manifestations publiques de protestation contre le racisme et de défense de la démocratie. Cette manifestation s’est ajoutée à plusieurs autres dans les années 2020 et 2021, allant à l’encontre de la manière d’agir des partis hégémoniques de la gauche brésilienne, qui n’ont à aucun moment pris la tête des revendications de la rue, misant au contraire tout le temps sur le calendrier électoral de 2022, sans tenir compte des milliers de Brésiliens qui continuaient à mourir à cause de la mauvaise gestion de la pandémie, à cause des interventions policières et à cause de l’ultralibéralisme économique adopté.

Dans le cadre plus restreint de l’État, ce panorama n’était pas différent, Pernambuco était le sixième État du pays avec le plus haut taux de morts violentes intentionnelles en 2021, le troisième en chiffres absolus [4]. Il occupait la troisième place pour les décès par balle chez les jeunes âgés de 15 à 29 ans en 2020 [5]. Il était cinquième pour le nombre de féminicides [6]. Selon l’Association nationale des travestis et des transsexuels du Brésil (ANTRA) [7], l’État est également cinquième au rang du plus grand nombre de meurtres de personnes trans.

Fondamentalement, en pleine pandémie de COVID-19, les particularités de la performance des forces de police sont mises en évidence. Dans la capitale, Recife, tous les décès causés par la police au cours de la même année concernaient des personnes noires [8]. La police militaire de Pernambuco est également responsable du meurtre d’un enfant de 6 ans qui jouait sur la terrasse de sa maison dans la ville touristique d’Ipojuca en 2021.

Même lorsqu’elle agit dans des espaces où la vie des gens n’est pas menacée, la violence utilisée par la police militaire reste déraisonnable. Lors de la première grande manifestation de mobilisation des mouvements populaires qui s’est tenue à Recife, le bataillon de choc, sous le commandement du gouverneur Paulo Câmara, a violemment réprimé les manifestants, acculant et arrêtant plusieurs personnes, allant jusqu’à tirer intentionnellement des balles en caoutchouc dans les yeux de personnes qui ne participaient pas aux manifestations et ne faisaient que passer à proximité. Deux personnes ont perdu la vue.

Ce scénario démontre l’utilisation des forces de police dans un contexte régional particulier, celui de de l’Etat de Pernambuco, comme une stratégie de répression contre toute forme d’organisation et d’action dans les rues. Néanmoins, les actions pour le droit à l’alimentation, au logement et aux soins de santé ont été menées dans les rues. Les mouvements noirs, en tant qu’avant-garde, ont utilisé ces espaces pour intensifier leur organisation.

La pandémie et le « reste à la maison ».

Plus précisément, l’année 2020 est marquée par la reconnaissance par l’Organisation mondiale de la santé (2020) de la pandémie de COVID 19, le 11 mars. Au Brésil, des études ont mis en évidence la mauvaise gestion de la crise provoquée par la pandémie. Le gouvernement fédéral a voulu nier l’existence de la pandémie. De leur côté, les gouvernements des États ont montré de grandes difficultés à mettre en œuvre une stratégie pour contenir le virus.

Les données officielles montrent que les personnes noires et les personnes à faible pouvoir d’achat avaient moins de possibilités de s’isoler socialement, moins d’accès au diagnostic. Lorsqu’elles étaient infectées, elles avaient moins d’accès au traitement, de même que lorsque les vaccins ont été disponibles, elles avaient plus de difficultés à se faire vacciner, outre un nombre plus élevé de décès [9].

Dans cette période la stratégie de contention de la propagation, résumée dans la maxime « rester à la maison » a entraîné la responsabilisation des individus pour leur santé. Ils étaient à la merci de leurs propres conditions financières pour la réalisation de cet isolement. Dans le cas de la population la plus pauvre, vivant dans des logements précaires, densément peuplés, sans assainissement, et sans la possibilité de travailler à distance, cette proposition d’isolement, sans soutien de l’État, signifiait une aggravation des conditions précaires auxquelles elle était historiquement soumise [10].

Dans l’État de Pernambuco, ainsi que dans d’autres États, les responsables de la lutte contre la pandémie ont tenté de se démarquer du déni du gouvernement fédéral. Malgré cela, les gouvernements des États ont adopté, parmi les mesures visant à réduire la propagation du virus, la distanciation sociale, recommandant à la population de rester chez elle, sauf dans le cas des travailleurs essentiels. Certains événements ont réussi à bien synthétiser la violence raciale séculaire des élites du Pernambuco, à travers leur contrôle des différents appareils d’État.

En pleine pandémie, le 2 juin 2020, alors que les crèches et les écoles étaient fermées et que le travail à distance était recommandé, une employée de maison s’est vue obligée d’aller au travail avec son fils. Sortie promener le chien de sa patronne, celle-ci, sensée veiller sur l’enfant, l’a abandonné dans l’ascenseur de son immeuble de luxe du centre-ville de Recife. Quelques minutes plus tard, l’enfant est tombé du 9e étage. Bien qu’elle ait été jugée pénalement responsable, Sari Corte Real, épouse du maire de Tamandaré à l’époque, est actuellement en liberté. Nous pensons qu’à ce stade, il est inutile de mettre en avant la couleur de peau du maire de la ville de Tamandaré, de la première dame, de l’employée de maison et de son enfant qui a perdu la vie.

Par ailleurs, il y a ce cas de parents qui amènent leur enfant d’un an en urgence dans un hôpital du réseau de santé privé, HAPVIDA . Négligemment soigné, l’enfant est décédé. Ce cas est emblématique, car il synthétise la commercialisation du droit à la santé et à la vie.

Lorsqu’une famille noire et pauvre fait appel à un service de santé privé, c’est parce qu’elle s’imagine qu’elle offre une meilleure possibilité de soins pour des maladies occasionnelles. Dans ce cas, c’est le contraire qui a été prouvé : même si l’enfant a été admis avec des symptômes graves aux urgences, les soins ne lui ont pas été prodigués.

Le manque d’intérêt pour les soins de santé s’accompagne d’un désintérêt pour les logements sociaux, la création d’emplois et les transports publics. En pleine propagation du virus, des milliers de personnes ont dû se rendre au travail dans des bus bondés empruntant des itinéraires kilométriques à travers la ville pour atteindre les quartiers aisés où ils devaient travailler chez des familles riches et de la classe moyenne.

En résumé, au mois de mai 2022, la négligence de logements populaires et décents a provoqué un crime environnemental qui a coûté la vie à plus d’une centaine d’habitants du Pernambuco, résidents de quartiers à l’urbanisation précaire, et qui, chaque année, étaient déjà victimes de décès par inondations et glissements de terrain. Dans plusieurs zones de la région métropolitaine de Recife, les travailleurs s’entassent dans des logements construits sur des collines et des ruisseaux, qui s’effondrent ou sont inondés à la moindre pluie.

Ces quartiers ont été construits de manière formelle ou informelle en raison de l’action de l’État au début du XXe siècle visant à expulser les Noirs du centre-ville et à les installer dans les territoires périphériques de la ville. Aujourd’hui encore, les logements du centre continuent d’être détruits, en raison des actions des entreprises de spéculation immobilière et du BTP, en collaboration avec les groupes politiques qui gouvernent le Pernambuco depuis des décennies. Cette action provoque la mort et la précarisation de la vie de millions de personnes.
Le mépris de l’État pour la vie des Noirs a été le mot d’ordre des revendications et des protestations publiques des mouvements noirs du Pernambuco. Tout au long de cette période, les luttes pour les droits fondamentaux tels que le logement, le transport et la santé ont été au centre des différentes actions entreprises et du travail avec les communautés mené par des femmes noires et des hommes noirs.

En 2022, après la période la plus aiguë de la pandémie et au milieu de la résistance aux attaques découlant d’une stratégie prolongée de contre-révolution, un processus électoral se déroule dans le pays et aboutit à la troisième élection de Luiz Inácio Lula da Silva. Une brève description du processus électoral et de ses conséquences pour les mouvements et les travailleurs noirs suivra.

Un bref aperçu de l’élection de 2022

Les élections présidentielles de 2022 ont été marquées par la polarité électorale entre deux candidats bénéficiant d’un grand soutien des secteurs de la bourgeoisie et des masses : Bolsonaro et Lula.

Lula, emprisonné entre 2018 et 2019, a rapidement cherché à normaliser ses droits politiques pour se présenter aux élections. La perspective conciliatrice du Front large a pris le dessus sur le discours de la plupart de ceux qui étaient dans l’opposition à Bolsonaro. Ils ont vu la nécessité d’unir tous les secteurs mécontents du gouvernement. La défaite électorale du projet fasciste, pour eux, dépendait de cette large alliance. Le choix de Geraldo Alckmin à la vice-présidence en était un symptôme. Cet ancien gouverneur de l’État de São Paulo a toujours été considéré par les mouvements sociaux comme un boucher néolibéral et a toujours été en opposition avec le PT.

Le résultat est connu. Bien que Bolsonaro ait eu en main la machine gouvernementale, les privilèges médiatiques, les financements et le réseau de diffusion de Fake News le favorisant, Lula est arrivé en tête au premier et au second tour et a été élu pour son troisième mandat. C’est un coup très dur pour ceux qui étaient sûrs de la réélection de Bolsonaro. Certains ne croient toujours pas à la défaite et restent dans les rues devant les casernes pour demander une révision du processus électoral.

L’occupation des casernes et les menaces de coup d’État.
 
Comme indiqué ci-dessus, le bolsonarisme dispose encore d’une base importante. Les fanatiques, les électeurs, les hommes d’affaires, les militaires, les théoriciens, les journalistes et les politiques constituent cette base qui est encore prête à se battre pour son « mythe » vaincu. Nous comprenons que toute cette puissance, qui a été construite et entretenue au cours des cinq dernières années depuis la campagne de 2018, ne va pas disparaître ou s’accommoder.
 
L’occupation des casernes, exigeant une « intervention fédérale », est la démonstration qu’il existe encore une volonté de défendre le projet de coup d’État, y compris dans la rue. Nous ne devons pas non plus perdre de vue le fait que nombre de ces manifestations sont clairement financées par des secteurs de l’agronégoce brésilien, en particulier dans des États comme le Mato Grosso où les propriétaires terriens et leurs subordonnés sont très puissants.
 
Les militaires font marche arrière, mais cherchent toujours à maintenir leurs privilèges acquis au cours des six dernières années de Temer et Bolsonaro. Les déclarations récurrentes de coup d’État ont été échangées contre des appels à la modération pour les deux parties. Nous ne pouvons pas baisser la garde face à une institution qui a frappé la république tant de fois. Un coup d’État militaire n’est peut-être pas possible, mais une mise sous tutelle militaire est une possibilité. La peur de les contrer ne peut se généraliser.
 
Les Forces armées doivent être tenues responsables des crimes commis sous l’administration Bolsonaro, notamment pendant la pandémie. Il s’agissait du gouvernement avec la plus grande participation de militaires à des postes civils, y compris dans les ministères, de sorte que bon nombre des crimes commis sont également à leur actif.

Que pouvons-nous attendre du nouveau gouvernement du Pernambuco et du pays ?

Face à ce panorama, bien qu’un président progressiste ait été élu pour les quatre prochaines années, aucune perspective de changement dans la stratégie de contre-révolution des classes dominantes du pays ne se présente. Absolument rien n’indique que parmi les trois éléments présentés, la faible tentative de conciliation politique, l’action génocidaire de l’appareil d’État répressif ou encore la difficulté d’accès aux services de santé seront modifiés dans le troisième gouvernement Lula.

Il semble que la tentative de démobilisation des mouvements populaires, y compris les mouvements noirs, se fera par le biais de la proposition d’un secrétariat et de la rédaction d’ordonnances et de décrets qui adoucissent les terribles conditions de vie des travailleurs brésiliens. En contrepoint, il sera exigé que les rues ne soient pas occupées et que les manifestations ne soient pas organisées, sous la menace constante du retour d’une autre période historique de profonde répression.

Dans l’État de Pernambuco, après 16 ans de gouvernements du PSB et du Front populaire (composé de partis de gauche comme le PC do B et le PT), une gouverneure issue d’un parti de droite a été élue.

Rachel Lyra, du Parti de la sociale démocratie brésilienne (PSDB), est la première femme de l’histoire à gouverner cet État. Cependant, le passé historique de privatisations et d’attaques contre les droits sociaux de son parti dans l’exécutif fédéral entre 1995 et 2002, ainsi que la violence policière et les attaques contre l’éducation publique dans les administrations de longue date dans l’État de São Paulo, présentent aux travailleurs de Pernambuco une perspective très sombre : la gouverneure élue devra aller à l’encontre de la forme de gestion employée par son parti pour que quelque chose de bon se produise dans l’État.

Dans un tel scénario, les mouvements noirs continuent à lutter pour la transformation d’une réalité violente et inégalitaire, voyant s’exercer la stratégie de la contre-révolution mais comprenant comme indispensable le rapprochement des travailleurs et l’accent mis sur la lutte antiraciste comme seule possibilité d’une révolution sociale pour détruire les structures racistes et de classe de la société brésilienne.

Couverture : « La Police Militaire tue » _ manifestation en 2017 rappelant l’assassinat de Mário Andrade de Lima, 14 ans, par des policiers militaires en juillet 2016.
Photo : Raphael Oliveira / Mídia NINJA

[1Cet emploi de manœuvres juridiques a favorisé une série de coups d’État qui se sont produits à grande échelle en Amérique latine depuis 2010 et qui, au Brésil, ont permis la destitution de Dilma Rousseff, du Parti des travailleurs (PT), de la présidence de la République en 2016 et l’emprisonnement de l’ex-président Luís Inácio Lula da Silva en 2018.

[2COUTINHO, 2010 ; OLIVEIRA, 2010 ; SINGER, 2012

[3RIOS, 2009 ; 2012

[4FBSP, 2022 ; en français voir le Baromètre d’Alerte sur la situation des droits humains au Brésil (2022) sur la période 2019-2022. En particulier la Fiche 1 : Violence contre les populations noires, Coalition Solidarité Brésil

[5BRÉSIL, 2022

[6FBSP, 2022

[8FBSP, 2022

[9FAUSTINO et. al. 2022 ; MORAIS, 2021

[10CARVALHO, PIRES et XAVIER, 2020 ; MATTA ; REGO et SEGATA, 2021

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