APPEL URGENT Nouvelle menace d’invalidation de la démarcation des terres autochtones, des territoires homologués et destruction des droits fondamentaux et humains des peuples autochtones du Brésil

Soumis aux procédures spéciales des Nations Unies suivantes

M. José Francisco CALI TZAY, Rapporteur spécial sur les droits des peuples autochtones
Mme K.P. ASHWINI, Rapporteure spéciale sur les formes contemporaines de racisme,
de discrimination raciale, de xénophobie et de l’intolérance qui y est associée
M. Fernand DE VARENNES, Rapporteur spécial sur les questions relatives aux minorités
Mme Mary LAWLOR, Rapporteure spéciale sur la situation des défenseurs des droits humains
M. David BOYD, Rapporteur spécial sur les obligations en matière de droits humains liés à l’usufruit d’un environnement sûr, propre, sain et durable
M. Ian FRY, Rapporteur spécial sur la promotion et la protection des droits humains dans le contexte du changement climatique
Mme Alexandra XANTHAKI, Rapporteure spéciale sur les droits culturels

Les organisations citées adressent respectueusement aux Nations Unies cet Appel urgent dans le but de présenter le risque de violation grave des droits humains des peuples autochtones du Brésil en raison du projet de loi n° 490 de 2007 de la Chambre des députés du Congrès national brésilien ("PL 490") [1].

Le PL 490 rend impossible la démarcation des terres autochtones, menace les territoires homologués et destitue les droits constitutionnels. Il s’agit de l’une des menaces les plus graves faites aux peuples autochtones du Brésil et, par conséquent, aux normes internationales en matière de droits humains.

Le projet de loi, qui représente déjà en soi un risque pour les droits humains et socio-environnementaux, a connu une évolution inquiétante au cours de la semaine écoulée. Le 24 mai 2023, la Chambre des députés a approuvé le vote du PL 490/2007 en régime d’urgence. Cela signifie que le projet sera voté en session plénière de la Chambre sans que les commissions parlementaires [2] aient été dûment consultées. Par conséquent, le PL 490 pourrait être voté et approuvé, de manière précipitée encore au cours du mois de mai.

Même si le texte est soumis au veto du pouvoir exécutif et que, s’il était converti en loi, il serait assujetti au contrôle de sa constitutionnalité par la Cour Suprême, l’action du Pouvoir législatif crée un climat d’incertitude juridique et attise les conflits qui ont même conduit à des pertes de vies humaines dans les territoires.

L’approbation en régime d’urgence du PL 490 aggrave la crise et les atteintes aux droits autochtones [3]. Le texte du projet prend en compte la date de promulgation de la Constitution fédérale brésilienne, le 5 octobre 1988, comme repère juridique pour la reconnaissance du droit des territoires autochtones. Cette interprétation erronée ignore l’histoire violente de l’expulsion des peuples de leurs terres ancestrales, ne respecte pas le droit originel à la terre et met en péril la survie physique et la reproduction culturelle des peuples originaires.

Outre le fait de représenter une mesure contraire à l’affrontement de l’urgence climatique, la thèse d’un seuil temporel signifie la perpétuation des pratiques discriminatoires et racistes de l’Etat à l’encontre des peuples autochtones, comme l’a déjà attesté la visite du Rapporteur spécial sur les droits des peuples autochtones lors de sa mission au Brésil en 2016 [4]. En outre, il convient de noter que, lors du dernier cycle de révision périodique universelle (RPU) en 2022, la nécessité de délimiter les territoires autochtones et de rejeter la thèse du seuil temporel a été rappelée par 25 pays [5], avec l’adhésion volontaire de l’État brésilien en mars 2023 [6].

Par le biais de la Note technique n° 5/2023, produite par l’Articulation des peuples autochtones du Brésil (APIB) au sujet du PL 490 [7], les facteurs suivants ont été considérés comme constituant des atteintes aux droits indigènes :

  1. transférer la compétence pour la délimitation des terres autochtones du Pouvoir exécutif au législatif ;
  2. transformer en loi la thèse d’un seuil temporel, avec l’objectif de rendre impossible la délimitation des terres autochtones ;
  3. autoriser la construction de routes, de centrales hydroélectriques et d’autres ouvrages sur les terres autochtones, sans consultation libre, préalable et informée des communautés concernées ;
  4. minimiser la différence entre la possession autochtone traditionnelle telle que prévue dans la Constitution fédérale et le droit privé en prévoyant que les exploitants agricoles pourront signer des contrats avec les populations autochtones pour planter du soja, élever du bétail et même exploiter des mines sur les terres autochtones, en violation du droit des autochtones à l’usufruit exclusif des terres démarquées ce qui affaiblit la protection et la démarcation des terres autochtones ;
  5. autoriser quiconque à remettre en question les procédures de démarcation des terres dans toutes les phases du processus, y compris celles qui ont déjà été approuvées, entraînant une insécurité juridique ;
  6. reconnaître la légitimité des titres, possessions et domaines sur les zones d’occupation traditionnelle, favorisant l’accaparement des terres ;
  7. raviver dans le système juridique brésilien des paradigmes dictatoriaux qui ont été surmontés par la Constitution fédérale de 1988, tels que le régime tutélaire et le principe de l’assimilation, qui visent à acculturer les peuples autochtones en leur refusant le droit à l’identité ;
  8. assouplir et ne pas respecter la politique indigéniste de non-contact avec les peuples autochtones, en situation d’isolement volontaire ;
  9. reformuler les concepts constitutionnels fondamentaux de la politique indigéniste, tels que la nature traditionnelle de l’occupation, le droit originel et l’exclusivité de l’usufruit.

Outre le PL 490, des initiatives qui constituent des menaces potentielles pour le ministère des Peuples autochtones et le ministère de l’Environnement et du changement climatique [8] progressent au Congrès national. Il est inquiétant que des projets législatifs menaçant explicitement les droits fondamentaux et les droits humains soient négociés en contradiction avec les engagements régionaux et internationaux.

Ces considérations faites, nous soulignons quatre points critiques qui entachent sérieusement le PL 490 analysé, en nous basant également sur une note technique produite par l’Institut socio-environnemental (ISA) en 20219 [9].

  1. Le PL 490 est inconstitutionnel. La Constitution fédérale brésilienne ne pouvant être modifiée par une loi fédérale ordinaire, le PL 490 est formellement inconstitutionnel. En outre, les droits et garanties des peuples autochtones constituent une clause permanente, de sorte que même une proposition d’amendement de la Constitution ne pourrait pas proposer les modifications contenues dans le projet de loi.
  2. Le PL 490 rend impossible la démarcation des terres autochtones. Le PL présente une série d’altérations au processus de démarcation des terres autochtones, visant principalement à perturber la procédure et, en conséquence, rendre la démarcation des terres autochtones impossible. Ce que le projet analysé vise à faire, c’est de créer des obstacles éternels et insurmontables au processus de démarcation des terres autochtones, en les rendant irréalisables.
  3. Le PL 490 ignore la consultation et le consentement libre, préalable et éclairé. Il y a des articles qui établissent des possibilités d’activités sur les terres autochtones sans consultation libre, préalable et informée. La proposition, dans son ensemble, est également non conventionnelle, étant donné que les peuples autochtones, par l’intermédiaire de leurs représentants, n’ont pas été consultés sur le PL et ses annexes.
  4. Le PL 490 va à l’encontre des efforts déployés pour protéger l’environnement et lutter contre le changement climatique. La démarcation des terres autochtones est un élément indissociable des questions de protection de l’environnement dans le contexte brésilien. La démarcation des territoires autochtones signifie garantir que les zones pertinentes dans le contexte du changement climatique sont protégées contre l’avancée d’actions illégales telles que la déforestation, l’accaparement des terres et l’exploitation minière. Le PL490 représente enfin un affront à la justice climatique et aggrave le racisme environnemental au Brésil.

Demandes

Au vu des faits dénoncés, les organisations signataires demandent aux procédures spéciales de l’ONU, par le biais d’une communication aux organes compétents, d’exhorter l’État brésilien, en particulier les présidents de la Chambre des députés et du Sénat du Brésil, à :

  • reconnaître que le PL 490 et ses annexes présentent des vices patents de constitutionnalité et de conventionnalité, et qu’ils configurent une régression sociale incontestable, afin d’ordonner le rejet et la clôture définitive de la proposition.
  • veiller à ce que le PL 490 et ses annexes soient abandonnés.
  • s’abstenir de proposer ou de soutenir des projets qui permettent, sous quelque prétexte que ce soit, la violation ou l’affaiblissement des droits et des territoires des peuples autochtones ;
  • ne pas inscrire de projet de ce type à l’ordre du jour législatif et, le cas échéant, le rejeter pour non-respect des droits humains ; et
  • veiller à ce que tout projet susceptible d’entraîner les conséquences négatives décrites ci-dessus fasse l’objet d’un débat démocratique large et approfondi, sans procédure indue, avec notamment la réalisation de la consultation et le consentement libre, préalable et éclairé.

Enfin, nous demandons également que les procédures spéciales publient un communiqué de presse commun soulignant la gravité de la situation et exprimant l’opinion des rapporteurs sur l’incompatibilité de cette législation avec les normes internationales en matière de droits humains.

Signé par :

  • Articulation des peuples autochtones du Brésil (APIB)
  • Coordination des organisations autochtones de l’Amazonie brésilienne (COIAB)
  • la Commission des droits humains de Conectas
  • Commission Arns
  • Institut socio-environnemental (ISA)

Voir en ligne : Apelo urgente !

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