Du luxe au fast-fashion : un rapport révèle le lien entre les marques de mode et la déforestation de l’Amazonie

 | Par Juliana Aguilera, Modefica

Une étude sans précédent menée par Stand.earth établit un lien entre plus de 150 marques de mode et la déforestation de la forêt amazonienne. Le produit qui relie ce réseau : le cuir. L’élevage bovin est non seulement l’un des principaux responsables des émissions de gaz à effet de serre (GES) dans le pays, mais il est aussi la principale raison de la déforestation dans le biome. Parmi les noms évoqués associés à la déforestation figurent : Louis Vuitton, Dior, Guess, H&M, Nike, Zara, Vans, Tiffany & Co et Tommy Hilfiger.

En partant de l’un des principaux fournisseurs brésiliens, JBS, l’enquête, qui est toujours en cours, a permis de découvrir plus de 400 connexions distinctes de la chaîne d’approvisionnement entre diverses entreprises, telles que des tanneries brésiliennes, des transformateurs de cuir dans plusieurs pays, des fabricants de produits et des marques de mode dans le monde entier. Au moment de la publication, le document relie déjà plus de 100 marques. Environ 80% de la peau de vache produite au Brésil est exportée vers des pays tels que la Chine et Hong Kong (41,6%), l’Italie (27,3%), le Vietnam (9,6%), Taiwan (5,6%), l’Inde (3,5%), les Etats-Unis (2,5%) et la Thaïlande (2,2%).

Spécialisé en recherche sur la chaîne de valeurs, l’identification et le suivi des matières premières lors de leur passage dans des réseaux de production complexes, Stand.earth dépiste la destruction de l’environnement et les violations des droits humains liées à la production de divers produits.

Le groupe a analysé près de 500 000 listes de documents douaniers obtenues en croisant des données collectées auprès de diverses sources, telles que les bases de données douanières brésiliennes, vietnamiennes, chinoises, indiennes et pakistanaises ; les données statistiques - telles que Comex Stat - ; les sites web des entreprises de transformation du cuir ; les rapports annuels (principalement en chinois) ; les présentations aux investisseurs et les rapports ESG - Gouvernance environnementale, sociale et d’entreprise - ; les publications des entreprises de transformation du cuir sur les médias sociaux ; la liste de divulgation ouverte des fournisseurs de marques de mode ; la base de données Internet Archive et la base de données SRG - « Guide des obligations en matière de sécurité », dans sa traduction littérale - conçue sur mesure entre la société mère, la filiale et la marque.


Tannage et déforestation

L’élevage de bétail est le principal moteur de la déforestation de la forêt amazonienne et des forêts tropicales du monde entier. La déforestation causée par l’élevage de bétail en Amazonie est responsable de près de 2 % des émissions mondiales de CO2 par an, soit l’équivalent des émissions de tous les vols aériens dans le monde. Et nous ne parlons que de la forêt amazonienne, sans tenir compte des régions qui sont importantes pour l’élevage du bétail, comme le Cerrado. C’est-à-dire qu’en réalité, cette valeur a tendance à être beaucoup plus élevée. Il convient de rappeler que l’industrie de la mode émet 2,1 milliards de tonnes de GES par an, soit 4 % des émissions mondiales, chiffre qui pourrait être plus élevé, compte tenu de la difficulté à reconstituer son réseau, comme on le voit ici.

Le Brésil possède le plus grand cheptel bovin du monde, avec environ 215 millions d’animaux - chiffre dépassant de 3 millions celui de la population. L’industrie du cuir est lucrative pour les abattoirs : en 2020, le secteur a représenté 1,1 milliard de dollars américains (6,16 milliards de réaux), soit 18 % du revenu total - si l’on compte le cumul annuel jusqu’en septembre.

Une étude de l’Institut des ressources mondiales a révélé qu’entre 2001 et 2015, le bétail était responsable de la perte de 36 % de la couverture végétale dans le monde. Le bétail a fait disparaître presque deux fois plus de forêts que tous les autres produits combinés. De cette superficie déboisée, 45 % étaient brésiliens, soit un total de 21,8 millions d’hectares. Cette aire correspond à 37 villes de Brasilia ou 4 Etats d’Espírito Santo ; elle est répartie à 70% dans le biome amazonien et à 30% dans le Cerrado.

Selon les données de Terra Brasilis, 6,7 millions d’hectares de forêt ont disparu en Amazonie au cours de la dernière décennie (2011-2020). D’ici novembre 2021, le biome comptera 11 000 km² déboisés, soit deux fois plus qu’en 2011. L’État du Pará se distingue, avec 43 % de la déforestation, suivi du Mato Grosso, avec 18 %. Le document de Stand.earth souligne qu’il existe « des preuves faisant penser que la majeure partie de la déforestation au Brésil se fait de manière illégale ».


Le bétail a fait disparaître presque deux fois plus de forêts que tous les autres produits combinés.

Mais comme le souligne Joana Portugal, auteure collaboratrice du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) et l’une des responsables du chapitre du rapport du PNUE (Programme des Nations unies pour l’environnement) sur les écarts d’émissions : « Qu’elle soit illégale ou légale, la déforestation en Amazonie produit des émissions de dioxyde de carbone ». Ainsi, même si elle a lieu sur des terres légalisées, comme c’est le cas dans le Cerrado, la déforestation en Amazonie est une préoccupation pour l’avenir de la forêt, des personnes qui l’habitent et de nous tous.

Stand.earth affirme également que de nombreuses études et enquêtes ont clairement montré que JBS, la plus importante entreprise de viande de bœuf et de cuir du Brésil, est également la principale responsable de la destruction de la forêt amazonienne. L’analyse des documents a porté sur le suivi du cuir exporté par la multinationale, en commençant par le client de première ligne, c’est-à-dire les transformateurs de cuir. L’analyse a également mis en correspondance les exportations de cuir des six principaux exportateurs (à l’exclusion des entreprises de logistique) avec ces mêmes transformateurs.


Réseau de production de produits en cuir

Le réseau de production de JBS a été en proie à plus de 3 millions d’hectares de déforestation au cours de la dernière décennie. Les données satellitaires publiées par Amnesty International lient l’entreprise à 91 000 hectares de déforestation dans la forêt amazonienne entre mars 2019 et mars 2021 - dont 81 % étaient peut-être illégaux. Le groupe affirme en outre que « la superficie totale de déforestation associée à JBS au cours de cette période est probablement beaucoup plus élevée ». Au demeurant, l’illégalité a souvent été associée à la multinationale.

Parmi les exemples de zones protégées envahies par le bétail illégal fourni à JBS se trouvent les réserves extractives de Rio Ouro Preto et Rio Jaci-Paraná et le territoire autochtone Uru-Eu-Wau-Wau, tous situés dans l’État de Rondônia. La réserve fluviale de Jaci-Paraná a de fait subi, récemment, une grande perte : avec le parc d’État de Guajará-Mirim, la zone a perdu environ 90 % de sa protection environnementale, soit un total de 219 000 hectares en moins. Cette superficie équivaut à celle des villes de São Paulo et de Salvador réunies.

La loi complémentaire n° 1.089/2021 a été financée par des activités d’élevage de bétail : selon une étude de Repórter Brasil, 11 des 25 députés de l’État qui ont approuvé le projet de loi sont des éleveurs de bétail ou ont été financés par des éleveurs de bétail. La réduction de la superficie profite à l’activité, sachant qu’il y a environ 120 000 têtes de bétail dans la réserve de Jaci-Paraná. Le rapport a également révélé que six députés de l’État ont reçu des dons de la part d’éleveurs de bétail lors de leur dernière campagne électorale : Alex Redano (DEM), Cássia das Muletas (Podemos), Geraldo da Rondônia (PSC), Johny da Paixão (PRB), Lebrão (MDB) et Luizinho da Fetagro (PT). Luizinho da Fetagro fait également partie du groupe des éleveurs politiques, aux côtés de Adelino Follador (DEM), Edson Martins (MDB), Ezequiel Neiva (PTB), Luizinho Goebbel (PV) et Laerte Gomes (PSDB).

Les images satellites montrent les pâturages récemment défrichés pour la production de cuir.

Le réseau de déforestation est relié directement à JBS, le plus important exportateur de viande bovine du Brésil.



Stand.earth conclut que toutes les entreprises qui s’approvisionnent directement ou indirectement auprès de JBS par le biais de transformateurs de cuir courent un risque très élevé d’être associées à la déforestation de la forêt amazonienne et donc à son effondrement. En outre, l’étude souligne que, bien que JBS soit le plus important exportateur de cuir du Brésil et le sujet de la recherche, le problème est avéré pour l’ensemble de l’industrie brésilienne du cuir. Cela inclut d’autres entreprises de tannerie, telles que Minerva et Fuga Couros.


NOMMER LES RESPONSABLES

Les 186 marques sont divisées en deux catégories : « à lien unique » et « à liens multiples », celles figurant dans la deuxième catégorie étant plus susceptibles d’être associées à la déforestation de l’ Amazonie. Parmi celles-ci, seules 20 marques (10,7%) ont une politique d’approvisionnement en cuir issu de la déforestation, et seules 15 (5%) interdisent explicitement l’achat de cuir provenant de l’Amazonie. Les entreprises qui ont les deux politiques sont majoritaires dans le groupe multi-connecté, comme Adidas, H&M et VF Corp - dont la marque Vans a ses opérations brésiliennes contrôlées par Arezzo. Le lien entre Vans et la déforestation est révélé dans le cadre de la nouvelle campagne de durabilité de la marque. Annoncée directement depuis la Californie, l’incorporation d’une « approche plus durable » aux classiques de Vans se traduit par l’utilisation de caoutchouc naturel et de peinture à base d’eau dans les chaussures de la ligne.

Toutes les entreprises qui s’approvisionnent directement ou indirectement auprès de JBS par le biais de transformateurs de cuir courent un risque très élevé d’être associées à la déforestation de la forêt amazonienne et, bientôt, à son effondrement. En outre, l’étude souligne que, bien que JBS soit le plus grand exportateur de cuir du Brésil et le sujet de la recherche, le problème est avéré à l’ensemble de l’industrie brésilienne du cuir. Cela inclut d’autres entreprises de tannerie, telles que Minerva et Fuga Couros.

Dans le groupe des marques ayant une seule connexion, on compte 53 noms, tels que Alexander Wang, Giorgio Armani, Decathlon, Cartier Target, et Walmart. Dans le groupe aux connexions multiples figurent 133 marques, telles que Adidas, Reebok, Michael Kors, Jimmy Choo, Versace, Guess, H&M, Zara, Louis Vuitton, Fendi, Dior, Givenchy, KenzoMarc Jacobs, Tiffany & Co, Lacoste, Prada, Miu Miu, Nike, Puma, Calvin Klein, Tommy Hilfiger, The Gap, Banana Republic, The North Face, Supreme, Timberland, Kipling.

Sur la base de ce rapport, The Slow Factory organise une mobilisation internationale pour faire pression sur les marques et les dirigeants politiques afin qu’ils œuvrent à la fin de la déforestation en Amazonie. Pour en savoir plus et signer la pétition, cliquez ici.

Voir en ligne : Do Luxo ao Fast Fashion Relatório Revela Relação de Marcas de Moda Com o Desmatamento da Amazônia

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