Nous continuerons à nous battre pour que justice et réparation soient rendues ! Communiqué sur l’arrestation des possibles commanditaires des assassinats de Marielle Franco et d’Anderson Gomes

Aujourd’hui, 24 mars 2024, une opération conjointe de la Police fédérale, du Bureau du procureur général et du Ministère public de l’Etat de Rio de Janeiro a permis l’arrestation préventive de Domingos Brazão, actuel conseiller à la Cour des comptes de l’État de Rio de Janeiro (TCE-RJ), de Chiquinho Brazão, député fédéral pour l’Etat de Rio de Janeiro, membre du parti Union Brésil et de Rivaldo Barbosa, ancien chef de la Police civile de Rio de Janeiro. L’opération réalisée est basée sur les informations de l’ancien policier Ronnie Lessa, recueillies dans le cadre de l’accord de « délation récompensée » récemment ratifié par la Tribunal Supérieur Fédéral (STF). Ronnie a révélé l’identité des cerveaux et la motivation de leurs crimes mais ses propos doivent encore être corroborés par d’autres éléments de preuve au cours du procès.

Dans l’accusation de Ronnie Lessa, les frères Brazão sont identifiés comme les commanditaires de l’assassinat de Marielle Franco et d’Anderson Gomes. Rivaldo Barbosa aurait autorisé le meurtre et se serait mis d’accord avec Domingos Brazão pour ne pas poursuivre l’enquête sur cette affaire. Selon les médias, le fief politique et électoral de la famille Brazão est le quartier de Jacarepaguá, dans la zone ouest de Rio de Janeiro, historiquement dominé par des milices qui exploitent des entreprises illégales. Le député fédéral Chiquinho Brazão a été conseiller municipal de la ville de Rio de Janeiro pour le Mouvement démocratique brésilien (MDB) au cours du même mandat que Marielle Franco. Chiquinho Brazão a soutenu l’élection de l’ancien président Jair Bolsonaro (PL). Il a également bénéficié d’un passeport diplomatique pendant le gouvernement de l’ancien président.

Rivaldo Barbosa avait pris la tête de la Police civile de Rio de Janeiro le 13 mars 2018, veille du meurtre de la Conseillère municipale, Marielle Franco. Trois jours après le crime, il avait nommé Giniton Lages pour diriger l’enquête, fonction occupée pendant environ un an.

Le Tribunal Supérieur Fédéral a ordonné aujourd’hui la mise à pied de Giniton Lages et du commissaire Marco Antônio de Barros Pinto de leurs fonctions publiques. Tous deux travaillaient au Commissariat des homicides de Rio de Janeiro au moment de l’attentat. La nomination de Rivaldo Barbosa a été faite par le général Walter Braga Netto (PL), intervenant fédéral, à ce moment-là, dans l’État de Rio de Janeiro. Ce dernier a été ministre du Cabinet civil ainsi que ministre de la Défense dans le gouvernement de Jair Bolsonaro. Il a également été candidat à la vice-présidence de la République aux côtes de Bolsonaro lors de l’élection présidentielle de 2022. Cette désignation a été contre-indiquée par les services de renseignement de la Police civile.

Ronnie Lessa, qui est en prison depuis 2019, aurait déclaré à la Police fédérale dans le cadre de sa délation récompensée que les commanditaires étaient contrariés par l’action politique de Marielle Franco, qui allait à l’encontre des intérêts de miliciens voulant élargir le champ d’action d’un groupe lié à la milice dans la ville de Rio de Janeiro.

Ainsi, selon la délation, des agents ou anciens agents de l’État, dont un chef de police chargé des enquêtes, seraient impliqués à tous les niveaux du crime. Cette affaire montre l’impunité structurelle dans les cas de crimes commis par des agents ou d’anciens agents de l’État contre la vie de défenseurs des droits humains et de civils comme Marielle et Anderson Gomes, segments de la société qui subissent des atteintes massives à leurs droits et qui rencontrent des difficultés structurelles pour accéder à la justice.

L’impunité de ces violations contre la population afro-brésilienne permet la répétition d’actes similaires et la perpétuation du racisme structurel. Nous soulignons qu’au Brésil, il n’existe pas de politique de réparation, pour les membres des familles et pour les victimes de la violence de l’État, qui garantisse une enquête indépendante, une participation effective aux enquêtes, une indemnisation et un soutien psychologique continu.

Ainsi, estimons-nous que le système judiciaire, forces de police à tous les niveaux incluses, a historiquement échoué à fournir des réponses efficaces aux victimes de la violence de l’État. Il convient de rappeler que l’émergence et l’expansion des groupes paramilitaires ou de ce que l’on appelle la « criminalité organisée » sont le résultat, entre autres facteurs, de l’impunité et de l’incapacité de l’État à apporter des réponses fortes à ses problèmes structurels. La responsabilité de l’État dans l’émergence et l’expansion des groupes paramilitaires a fait l’objet de condamnations emblématiques de la part de la Cour interaméricaine des droits de humains (CIDH). Celle-ci, constatant l’existence de diverses affaires impliquant des liens entre des groupes paramilitaires et des agents de la sécurité publique, a établi comme devoirs internationaux fondamentaux de l’État : le devoir de prévenir les violations des droits ; le devoir d’enquêter avec diligence ; le devoir de rendre les auteurs responsables de leurs violations et le devoir de réparer les dommages subis par les victimes.

Les autorités brésiliennes sont défaillantes sur tous ces points face aux meurtres de Marielle et d’Anderson. Il est urgent de changer cette dure réalité pour que la jeunesse noire et celle des favelas puissent vivre et que toutes les familles des victimes aient accès à la vérité, à la mémoire, à la justice et à la réparation !

Il convient de rappeler que l’assassinat de Marielle et d’Anderson a eu lieu dans le cadre de l’intervention fédérale en matière de sécurité publique à Rio de Janeiro. Dans un pays démocratique, il est inacceptable que des agents de l’État puissent compter sur l’impunité des organes d’enquête et sur le consentement de larges secteurs de la société. À ce jour, l’absence de réponses quant aux commanditaires de ce crime constitue une caution de l’État pour d’autres attaques contre la population noire, des favelas et des périphéries.

La Justice que nous voulons va au-delà de la responsabilisation des auteurs et des commanditaires de ce crime politique qui a coûté la vie à Marielle et à Anderson. Nous avons besoin d’une Justice qui garantisse des mesures de responsabilisation des auteurs des crimes, des réparations pour les proches et des mesures de non-répétition, en d’autres termes, la prévention d’autres cas de violence politique basée sur le genre et l’origine ethnique, garantissant que la vie d’aucune autre femme noire ne soit interrompue.

Il est important de rappeler que ces arrestations ne marquent pas la résolution finale de l’affaire. La délation doit encore être corroborée par d’autres preuves au cours du procès et les personnes impliquées doivent être jugées dès que possible. Il reste un long chemin à parcourir.

Marielle était une figure politique extrêmement importante dans la conjoncture récente du pays, non seulement en raison de son leadership, de sa présence et de sa force en tant que défenseure des droits humains, accompagnant les victimes de la violence de l’État pendant plus de 15 ans. En outre, elle représentait un cycle d’avancées résultant de décennies d’auto-organisation et d’autodétermination du mouvement brésilien des femmes noires. Nous savons qu’avec ce crime brutal, dont les motivations sont clairement politiques, sexistes, lgbtphobes et racistes, ils espéraient interrompre le cycle d’avancement de ce projet politique qu’elle représentait. Ils se sont trompés. Car malgré l’insécurité politique croissante et la violence quotidienne, nous ne reculerons pas dans la lutte multiséculaire pour la libération.

Nous continuerons à nous battre pour que l’enquête sur les commanditaires progresse, pour qu’un procès en bonne et due forme soit organisé pour toutes les personnes accusées de ce crime brutal qui nous a enlevé Marielle Franco et Anderson Gomes et, surtout, pour que la société brésilienne ait enfin les réponses aux questions suivantes : Qui a fait assassiner Marielle Franco et pourquoi ?

Nous continuerons à nous battre pour que justice et réparation soient rendues, pour que cela ne se reproduise plus jamais !

Signataires de cette note :

Ágatha Reis, Antônio Francisco da Silva Neto, Luyara Franco, Marinete da Silva, Mônica Benício, Amnesty International Brésil, Instituto Marielle Franco, Justiça Global et Terra de Direitos.

Voir en ligne : Nota pública sobre a prisão dos possíveis mandantes do assassinato de Marielle Franco e Anderson Gomes

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