Première année de Bolsonaro : un bilan tragique pour le Brésil

Marcos Corrêa/PR

Un an après son accès au pouvoir, les points saillants de la politique de Jair Bolsonaro se dessinent : violence d’État, ouverture néolibérale et fermeture du dialogue entre la société civile et le gouvernement.

Les victimes de ce gouvernement sont multiples, parmi elles au premier front on identifie notamment des populations noires, autochtones, les femmes et les populations LGBTQI+. Ces groupes ont vu leur situation se précariser, aux dépens d’un droit qui semble inexistant.

Le gouvernement a ainsi joué un rôle dans la légitimation de la précarisation de la situation sociale au Brésil par le biais d’une politique d’exclusion tempéré avec des discours de haine. De plus, les formes de contre-pouvoir, dont notamment les mouvements sociaux, les secteurs de la culture et la presse, souffrent d’attaques permanents de la part de l’exécutif visant à contrer le souffle progressiste qui semblait survivre au Brésil.

Dans ce cadre d’autoritarisme politique émergent, la préservation environnementale serait aussi mise en péril. Bolsonaro et son équipe semblent affirmer une politique économique et budgétaire néolibérale dont les ressources primaires ne seraient que des outils pour le développement économique. Il semblerait que même les feux en Amazonie ne lui ont pas fait reconsidérer une telle conduite.

La violence comme mode de gouvernance

L’histoire de la démocratie Brésilienne est malheureusement aussi celle de la violence dans le pays. Si le nombre des morts violentes ont baissé ces derniers deux années, la permanence et approfondissement des violences policières reste une réalité très alarmante.

En effet, selon le Moniteur de la Violence, le Brésil a connu 30 864 morts violentes de janvier à septembre 2019 – un décès toutes les 13 minutes en moyenne. Certes, ce chiffre demeure élevé, mais reste inférieur à celui de la même période l’année dernière : avec un total 39 527 décès au cours des neuf premiers mois de 2018. Ceci représente une baisse de 22% du total de morts à l’échelle nationale.

En revanche, les meurtres commis par la police ont augmenté au cours du premier semestre. Au niveau national, le premier semestre a enregistré 2 886 personnes tuées par des policiers, soit 120 de plus qu’au cours de la même période de 2018. Tout en étant un élément permanent de l’histoire nationale, cette augmentation de la violence policière est le fruit d’une politique sécuritaire meurtrière et raciste qui prône la guerre aux populations pauvres et noires.

Police par tout, justice nulle part

Les moyens investis dans la police sont plus importants qu’auparavant, par exemple à São Paulo le nombre de policiers civils et militaires en service a augmenté de 12 % en 2019. Ce qui n’a pas permis pour autant de faire baisser les taux de mortalité de la police. Dans la ville de Rio de Janeiro le taux de mortalité de la police était de 10,5 pour 100 000 habitants l’année dernière, ce qui représente 30,3 % de toutes les morts violentes dans l’État.

Du conservatisme dans les mœurs à la violence de genre et contre les LGBTQi+

Une année après l’investiture de Jair Bolsonaro comme président, personne peut nier le tournant idéologique conservateur et sécuritaire tel qu’annoncé avec la répétition de son slogan de campagne “le Brésil, au-dessus de tout et Dieu au-dessus de tous”. Président des « citoyens de bien », Bolsonaro veut un pays pacifié et unifié autour de la « traditionnelle famille brésilienne » et donc qui ne mesure pas ses mots pour réduire au silence toutes celles et ceux qui n’y se reconnaissent pas.

Comme conséquence de ce tournant et de cette « libération de la parole », 2019 a été une année marquée par plusieurs attaques contre la population LGBTI et contre les droits des femmes. Sur le plan culturel et symbolique, nous pouvons énumérer divers épisodes de censure ou attaque dont la suppression des fonds pour les films traitant du thème LGBTI, la tentative du maire de Rio de Janeiro, Marcelo Crivella, d’interdire une bande dessinée de super-héros montrant un baiser homosexuel [1].

Cette normalisation des discours de haine a porté des résultats dramatiques : avec 124 meurtres de personnes transsexuelles le Brésil continue d’être le pays qui tue le plus de travestis et de transsexuels dans le monde. Le pays est passé de la 55e place, en 2018, à la 68e place, en 2019, dans le classement des pays les plus sûrs pour la population LGBT.

Ces attaques et violences contre les personnes sont aussi étroitement liées à une volonté du gouvernement et ses partisans de s’attaquer contre les droits du corps de la femme. Depuis février 2019, date du début de l’année législative, 28 propositions de loi au Parlement ont mentionné le mot « avortement », dont 43% (12) visant à restreindre les droits à l’avortement. Six de ces projets ont été présentés par le PSL, le parti du président Jair Bolsonaro.

Ces violences genrées du cadre juridique sont accompagné d’une augmentation des violences physiques, avec un boom du nombre de féminicides en 2019 et des agressions sexuelles et viols. En effet, les féminicides ont atteint la triste marque d’un tiers des homicides à l’encontre des femmes en 2018 : sur un total de 4 556 homicides, 1 151 sont des cas de féminicide en 2017, tandis que 1 206 ont été signalés en 2018 sur un total de 4 107 femmes assassinées, soit une augmentation de 4%.

Ces chiffres exposent ainsi la persécution des secteurs conservateurs de l’État aux femmes et aux populations LGBTI. Une campagne de haine est menée des années et s’est accélérée depuis la campagne électorale contre ce qu’ils appellent « l’idéologie de genre ».

La « guerre culturelle » au sein du projet de pouvoir de Bolsonaro

Souvent décrit par les médias internationaux comme le « Trump des tropiques », Jair Bolsonaro partage avec lui une haine infondée des journalistes, scientifiques et intellectuels ainsi qu’une verborragie mensongère sur les réseaux sociaux. En effet, en 391 jours de présidence, Bolsonaro a fait 648 déclarations fausses ou déformées.

Comme pour son homologue états-unien, la tentative de Bolsonaro de miner la presse et d’attaquer les journalistes a été une constante toute l’année 2019, avec une moyenne d’un épisode tous les trois jours, selon une enquête de la Fédération nationale des journalistes. Parmi ceux-ci, on y trouve 100 mentions visant à réduire la crédibilité de la presse et 11 attaques contre des journalistes, y compris des déclarations écrites et des manifestations.

En outre, dans cette première année de gouvernement, le président a été responsable de 121 cas d’attaques directs contre des médias et des journalistes. Parmi ceux-ci ont compté 114 offensives génériques et généralisées, en plus de sept cas d’agressions directes contre des journalistes, pour un total de 121 occurrences. La plupart de ces attaques ont été faites dans les communiqués officiels de la présidence de la République (discours et interviews du président, transcrits sur le site du Palácio do Planalto) ou sur le Twitter officiel de Bolsonaro.

Dans cette guerre culturelle menée par le président du Brésil, un des principaux fronts a été l’éducation. Ainsi, le ministère de l’éducation (MEC) était l’un des portefeuilles les plus agités et impliqué dans des « polémiques » au cours de la première année du gouvernement. En raison d’un début marqué par la « danse des chaises » - avec l’échange de Ricardo Vélez Rodríguez contre Abraham Weintraub en charge du ministère de l’éducation et une succession d’échanges de noms dans les domaines techniques - les actions du gouvernement en matière d’éducation ont mis du temps à se manifester.

À la fin de 2019, le nouveau gouvernement a enfin défini sa politique éducationnelle : un mixte de conservatisme, anti-intellectualisme, scepticisme anti-scientifique et ultralibéralisme austéritaire.

Parmi les principales actions du MEC nous pouvons énumérer les principales politiques publiques qui ont caractérisé ce tournant :

  • L’ouverture du financement des universités aux entreprises ;
  • L’anticommunisme folklorique et le combat à toute forme « d’idéologie de gauche » avec un interventionnisme grandissant, dont la modification de la façon comment les recteurs sont choisis ;
  • Le déblocage de fonds pour structurer un programme pour le développement les écoles militaires ;
  • L’institution d’une nouvelle politique nationale d’alphabétisation centrée sur l’enseignement à distance et dont la critique à la méthode de Paulo Freire est centrale.

Tout cela sous l’emprise d’une politique généralisée de coupes budgétaires : le ministère de l’éducation a subi une réduction dans son budget de 5,8 milliards de R$ touchant les dépenses discrétionnaires (dépenses non obligatoires, qui comprennent le montant des investissements, le paiement de dépenses telles que l’eau et l’électricité, entre autres). Les universités fédérales ont été les plus impactées. Seulement 30 % de leur budget est administré par les établissements et destinés aux programmes et investissements internes. Ceci représentait environ 3,5 % de toutes les ressources des établissements (qui comprennent les dépenses obligatoires, comme le paiement des salaires). En valeur absolue, les universités ont eu une réduction de leur budget de 2,4 milliards de R$.

Ultraliberalisme et carbo-fascisme

Cette conjugaison entre logique austéritaire ultra-libérale et conservatisme anti-intellectualiste a ainsi marqué d’autres secteurs du gouvernement comme le Ministère de l’Environnement. Ainsi 2019 a été une année sous le signe de la multiplication des conflits socio-environnementaux et de destruction des biomes au pays. En 2019, la déforestation de l’Amazonie a augmenté de 85% par rapport aux données de 2018 sur cette même période [2] . Les causes de la déforestation Amazonienne sont l’extraction - souvent illégale- de bois et l’expansion de la frontière agricole.

Ces pratiques correspondent à une volonté de Bolsonaro de « payer » l’appui reçu lors de la campagne présidentielle de la part de l’agro-business et des propriétaires terriens. En réduisant les moyens de l’agence des forêts brésilienne (IBAMA) et en prônant un discours glorifiant l’action de l’agro-business dans les zones de frontière agricole en Amazonie, Bolsonaro a en effet donné un blanc-sang à ces secteurs [3].

Dans le même sens, entre janvier et octobre, 2019 382 nouveaux pesticides ont été déclarés comme acceptables dans les terres brésiliennes, beaucoup desquels déjà restreints ou interdits aux États-Unis et en Europe.

Si on pouvait croire que la réponse aux questions climato-environnementales viendraient par la nomination d’experts aux ministères concernés, c’est bien le contraire.

La nomination au poste de ministre des relations internationales d’Ernesto Araújo [4], « admirateur de Donald Trump » est contraire aux efforts visant à atténuer le réchauffement climatique. M. Araujo expose son climatosceptiscisme avec fierté, déclarant dès la campagne présidentielle de 2018 que le réchauffement climatique « serait une invention de gauche pour favoriser la croissance chinoise ».

Même logique a été observé lors de la nomination du Ministre de l’Environnement, Ricardo Salles. Ce ministre semble aussi participer à la construction d’un corps politique carbo-fasciste. Le ministre n’a notamment pas peur d’affirmer que le Brésil a fait un « excellent travail en Amazonie » [5], malgré l’explosion des chiffres sur la déforestation durant l’année 2019. Selon lui le réchauffement climatique est une question d’importance secondaire.

Comme c’est le cas pour l’éducation, ces choix politiques s’accompagnent d’une politique austérité profonde. Ainsi, le budget du ministère de l’environnement a été réduit de 23% à la suite de l’élection de Bolsonaro. On a notamment éliminé les fonds destinés à la lutte contre les incendies en Amazonie.

La destruction de l’IBAMA

L’année 2019 a vu le licenciement de 21 des 27 directeurs régionaux de l’IBAMA chargés d’approuver les opérations contre la déforestation. De plus, l’organisme est aussi victime d’une délégitimation constante dans les discours de Ricardo Salles et Jair Bolsonaro. Ils critiquent notamment le mode d’opération des agents de l’IBAMA consistant à brûler les machines utilisées dans la déforestation (trouvées lors des inspections en forêt).
Un bras de fer, aux forces asymétriques, semble ainsi se dessiner entre le pouvoir exécutif brésilien et l’institut. IBAMA a notamment publié un rapport indiquant que les commandants militaires impliqués dans la Mission de Garantie de l’Ordre Public Environnemental (GLO) - décrétée par le président Jair Bolsonaro (PSL) - ont refusé à trois reprises de soutenir les opérations de lutte contre les garimpeiros [6] illégaux. Selon les militaires ces actions pouvaient entraîner la destruction de l’équipement des délinquants. Ainsi, par le biais de la GLO Bolsonaro soutient ceux que IBAMA cherche à neutraliser : les garimpeiros responsables d’une partie de l’augmentation de la déforestation illégale au Brésil.

A la fin de sa première année comme chef de l’État brésilien, Jair Bolsonaro consolide alors un plan de gouvernement centré sur des politiques anti-démocratiques, visant à criminaliser et à exclure du champ politique toute une partie de la population brésilienne. Face à cela, il ne reste que la résistance des mouvements sociaux.

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