La Commission Pastorale de la Terre publie le bilan des conflits dans les campagnes brésiliennes en 2021, apportant sa lecture sur des thèmes ayant marqué la vie des peuples de la terre, des eaux et des forêts.
2021 : morts résultant de conflits de terre et massacres dans la terre indigène Yanomami, augmentation des assassinats et du travail esclave [1], sont les traits marquants
Le territoire indigène [2] Yanomami (TIY) est l’un des territoires les plus durement touchés par l’exploitation minière illégale. Délimité en 1992, le TIY est le plus grand du Brésil en terme de superficie, avec 9,6 millions d’hectares, où vivent les peuples Yanomami et Ye’kwana. Il existe également huit registres de groupes indigènes isolés, dont l’un a déjà été confirmé – il est connu sous le nom de Moxihatëtëa. L’activité minière (garimpo [3]) se développe rapidement dans le pays depuis au moins 2012, avec un impact significatif sur l’Amazonie. En 2020, le Centre de Documentation de la CPT - Dom Tomás Balduino avait enregistré 9 décès résultant de conflits ruraux, la plupart d’entre eux dans l’Etat d’Amazonas. En 2021, 109 décès ont été enregistrés à la suite de tels conflits, ce qui représente une augmentation de 1.110%. Sur ce total, 101 décès ont été enregistrés dans l’État de Roraima. Ils sont tous d’Indiens Yanomamis. Et tous sont la conséquence de l’action de chercheurs d’or. Depuis 2020, l’Association Hutukara a averti les autorités des risques d’escalade de la violence dans les régions du TIY où l’orpaillage est en progrès. Selon les données obtenues par le Système de Surveillance des Garimpos illégaux dans le TIY, le lit du fleuve Uraricoera est la région la plus touchée par cette activité : c’est là que que se concentre 45% du territoire dégradé par l’exploitation minière illégale.
Massacre
Apiaú est une autre région menacée aussi par la présence de garimpo illégal. En novembre 2021, un groupe de dirigeants communautaires a informé l’association Hutukara de la détérioration des conditions de vie de la communauté dans le village de Serrinha, en conséquence de la propagation de l’alcool et des drogues, introduits par les chercheurs d’or qui utilisent la communauté comme lieu d’hébergement. A cette occasion, les dirigeants ont rendu compte de l’assassinat [4] de trois indigènes du groupe isolé de Moxihatëtëa, autour du mois août 2021. Un autochtone qui aurait été témoin des faits a rapporté que le massacre avait été motivé par l’assaut entrepris par des indiens isolés contre le garimpo « Ceinture Noire », situé à quelques kilomètres de leur campement.
Violence contre la personne : augmentation de 75% des assassinats
En 2021, la violence contre la personne a été brutale. Rien que dans les États de l’Amazonie Légale, il y a eu 28 assassinats, soit 80% du total. Les actions sur commande de « tueurs à gages » et de « milices agraires », ainsi que d’agents publics, ont causé en 2021, dans tout le Brésil, 35 assassinats lors de conflits dans les campagnes. Sur ce total, 33 victimes étaient des hommes et deux des femmes.
En deux de ces occurrences, il y eu massacre : l’un est le massacre survenu dans le Territoire Indigène Yanomami, et l’autre, celui de trois paysans sans terre ou en situation de campement qui ont été assassinés dans le Campement Ademar Ferreira, en août 2021, dans l’Etat de Rondônia. Au cours de la même période, il y a eu aussi 27 tentatives d’assassinat et 132 menaces de mort.
Par ailleurs ont été enregistrées 75 agressions physiques avec blessures, un grand nombre d’intimidations et de tentatives d’humiliation ou assujettissement, et 13 cas de torture, pratiqués principalement par des agents privés identifiés comme « fermiers ».
Soulignons qu’en 2022 – sur la base de données partielles, on compte déjà 14 assassinats dans des conflits ruraux. La plupart ont eu lieu dans l’Etat du Pará (4 assassinats), où a été enregistré le premier massacre rural de l’année, dans la commune de São Félix do Xingu. Le 9 janvier ont été retrouvés, sur la propriété familiale, les corps de José Gomes, connu comme Zé do Lago, de son épouse Márcia Nunes, et de leur fille Joane Nunes. Ils y vivaient depuis plus de 20 ans, travaillant à la préservation de la forêt et administrant un projet de reproduction de tortues. Ils étaient connus et reconnus pour leur travail au service de l’environnement. La terre qu’ils occupaient se trouve sous la juridiction de l’ITERPA et insérées dans l’APA [5] Triunfo do Xingú, une zone de préservation de plus de 1,5 million d’hectares. Passés trois mois depuis les faits, il n’y toujours pas de position officielle par rapport aux investigations entreprises sur cette affaire.
En 2021, 100 personnes, au total, ont été l’objet d’arrestation en 2021, soit une augmentation de 45% par rapport à l’année précédente. Trente d’entre elles ont été arrêtées, à l’occasion d’un conflit, le 17 novembre dans l’Etat de Rondônia, Etat où on a enregistré près de la moitié des arrestations pratiquées en 2021.
Rondônia est en 2021 l’État avec le plus grand nombre d’assassinats (11), suivi par le Maranhão avec 9 assassinats, puis Roraima, Tocantins et Rio Grande do Sul, chacun avec 3 assassinats. Parmi les victimes, 10 étaient membres de peuples autochtones, 9 paysans sans terre, 6 posseiros [6], 3 quilombolas [7], 2 assentados [8], 2 petits propriétaires, 2 quebradeiras [9] de coco babaçu et un de leurs alliés. Le nombre de sans terre tués a augmenté de 350% entre 2020 et 2021, passant de 2 à 9. Le nombre de posseiros a lui aussi augmenté de 500%, passant de 1 à 6. Le nombre de personnes torturées est passé de 9 à 13, soit une augmentation de 44% et les agressions, de 54 à 75, soit une augmentation de 39%.
Cinq personnes LGBTI+ sont victimes de violences (selon une enquête inédite du Cedoc-CPT)
Les données sur la violence à l’encontre des personnes, divulguées dans le rapport Conflitos no Campo Brasil 2021, présentent, pour la première fois, des informations sur l’orientation sexuelle et l’expression de genre des victimes de violence en zone rurale. En 2021, cinq personnes LGBTI+ ont ainsi été victimes de violences, comme indiqué dans les données publiées dans notre rapport. Parmi les violences subies, sont citées : humiliation et emprisonnement ; assassinat ; intimidation et torture. Les catégories de personnes qui ont subi de telles violences sont au nombre de deux : indigènes (une femme) et sans terre (4 hommes).
Travail esclave : le nombre de personnes tirées de cette situation est au plus haut depuis 2013
En 2021, l’inspection du travail a retiré 1.726 personnes qui étaient en situation d’esclavage moderne. C’est le chiffre le plus élevé depuis 2013, en augmentation de 113% par rapport à 2020. Il y a eu 169 cas de travail esclave dans les zones rurales en 2021, soit une augmentation de 76% par rapport à l’année précédente. L’État de Minas Gerais est en tête avec 51 cas et 757 personnes libérées. Vient ensuite l’État du Pará avec 27 cas et Goiás, avec 17. Sur le nombre total de personnes victimes de cette pratique criminelle, 64 étaient des enfants et des adolescents, ce qui montre une augmentation de 121% par rapport à l’année précédente. Les régions du Sud-Est et du Centre-Ouest ont concentré le plus grand nombre de mineurs réduits en esclavage, 19 dans chacune. Ces deux régions ont concentré également en 2021 le plus grand nombre de cas de travail esclave, de personnes impliquées et de personnes libérées. Dans la région du Sud-Est, 59 cas ont été enregistrés et 919 personnes ont été libérées, tandis que dans le Centre- Ouest, il y a eu 37 cas et 415 libérations.
En augmentation : les tentatives visant à mettre à bas les conditions de vie des gens des campagnes
En 2021, 2.143 familles ont été expulsées de leur lopin de terre sur l’ordre d’un juge, soit 12% de plus qu’en 2020. En 2021 le nombre de familles expulsées (sans ordre judiciaire) a augmenté de 18%. Leur nombre est passé de 469 en 2020 à 555 en 2021. Plus de 71 millions d’hectares ont été ou sont en situation de conflit, soit 8,35% du territoire national. Les territoires indigènes constituent l’écrasante majorité des terres qui ont souffert d’agressions telles que usurpation ou intrusion violente : ils correspondant à 81% des zones en situation de tension sociale et de conflit. Les « sans-terre » sont la deuxième catégorie comptant le plus de zones sous pression violente et conflit ; vient ensuite celle des posseiros. Le nombre total de familles touchées par des occurrences de conflit de terre en 2021 a été de 164.782, confirmant la tendance à la hausse observée au cours des cinq dernières années. De ce total, 17.706 sont menacées d’expulsion judiciaire.
En ce qui concerne les données sur le nombre de familles impliquées dans des conflits fonciers au cours des dix dernières années, l’augmentation spectaculaire du nombre de familles qui ont subi une invasion de leurs terres saute aux yeux depuis 2019, début du gouvernement actuel : pas moins de 206% de plus qu’en 2018. En ce qui concerne les conflits de terre survenus au cours des deux dernières années, parmi les cinq Étatsqui affichent les chiffres les plus élevés (Pará, Maranhão, Bahia, Mato Grosso et Rondônia), quatre se trouvent dans l’Amazonie légale. En 2021, l’Amazonie a enregistré 52% des conflits de terre au Brésil et 61% du nombre de familles impliquées. Lorsque l’on observe la quantité des zones en litige, l’ampleur des conflits montre l’importance des différends autour des terres et des territoires de cette région.
C’est encore en Amazonie qu’ont eu lieu 64,5% des menaces d’expulsion, 63% des cas de contamination par pesticides, 78% des cas de déforestation illégale, 87% des expulsions, 81% des cas d’usurpation de terre (grilagem), 82% des cas d’invasion, 69% des actions de tueurs à gages (pistolagem), 73% des actes d’omission/collusion de l’État et 70% des cas de violation visant les conditions d’existence.
Résistance
Les actions d’occupation et de reprise de territoire ont connu une augmentation significative en 2021. Elles sont passées de 29 en 2020 à 50 en 2021, soit une augmentation de 72%, et de 1.391 familles en 2020 à 4.761 en 2021. Une augmentation de 242%. La région du Sud-Est a été la principale responsable de cette augmentation : de 4 occupations/reprises en 2020 et 207 familles, à 19 en 2021, et 3.386 familles. Une augmentation de 375% des cas et de plus de 1.535% des familles concernées. Ce saut s’explique par l’action coordonnée du Front National de Luttes rurales et urbaines (FNL), dans l’État de São Paulo au cours de l’année dernière, avec une reprise significative de ce type d’action, après la chute en 2020 du fait de la pandémie du Covid-19.
Conflits liés à l’eau en 2021 : augmentation des cas dans les régions Nord et Nord-Est du pays
En 2021, 304 conflits liés à l’eau ont été enregistrés au Brésil impliquant 56.135 familles, selon les données de la CPT/CEDOC. Le nombre de cas et de familles concernés a légèrement diminué par rapport à l’année précédente. En 2020, il y a eu 350 conflits avec 56.292 familles impliquées. Toutefois, il y a eu une sensible augmentation du nombre de cas dans les régions Nord et Nord-Est.
La région Nord a connu une augmentation de 18% des conflits liés à l’eau et de 54% du nombre de familles impliquées dans ces conflits. La région Nord-Est a connu une augmentation de 41% du nombre de cas, mais le nombre de familles impliquées a diminué de près de moitié.
Il faut souligner que l’État de la Bahia a connu une augmentation de 208% de ces cas (c’est l’État avec le plus de cas en 2021), mais une réduction du nombre de familles impliquées. L’État du Pará a connu une augmentation de 52% des cas, étant le deuxième État avec le nombre le plus élevé, et une augmentation de 105% u nombre de familles impliquées. L’État du Maranhão a connu la plus forte augmentation en 2021, 830%, avec 58% de plus quant aux familles impliquées. A mentionner également l’État de Roraima où, en 2020, il n’y avait eu aucune trace de conflits liés à l’eau et où, en 2021, il y a eu 6 cas, impliquant
8.155 familles. Ce saut est dû au record de conflits liés à l’exploitation minérale dans le territoire Yanomami.
C’est dans la Bahia qu’on a le plus grand nombre de conflits pour l’eau liés en relation avec l’exploitation minière – 43 (dont 39 dans le bassin du fleuve São Francisco). Quand on analyse les données d’ensemble du Brésil, la tendance est la même : 30% des conflits sur l’eau ont eu pour cause l’activité développée par des sociétés minières internationales, 19% par des entreprises, 14% par des fermiers, 10% par l’installation de centrales hydroélectriques, 9% par des entités gouvernementales (Etat fédéral ou local, et communes) et 8% par l’action d’orpailleurs. En ce qui concerne les principaux sujets affectés par les conflits liés à l’eau, soulignons la prédominance des communautés traditionnelles : 19% sont des communautés établies sur les rives d’un fleuve, 14% sont des quilombolas et 17% des peuples autochtones.